Présenté l'année dernière à Cannes dans la section "Un certain regard", "Mon tissu préféré" de Gaya Jiji, réalisatrice syrienne exilée à Paris, sort aujourd'hui sur les écrans romands.
Le film, présenté l'année dernière à Cannes dans la section "Un certain regard", est éminemment politique puisque l'histoire se déroule au printemps 2011 au début de la guerre civile qui secoue encore aujourd'hui la Syrie.
La guerre omniprésente
Dans sa forme, ce film est un drame sentimental. Mais la guerre y est présente à travers des bribes d'actualité sous forme d'images du soulèvement populaire qui a débuté au printemps 2011 dans la ville de Deraa, au sud du pays, et de la répression violente du régime de Bachar el-Assad.
Le président el-Assad qu'on entend également s'adresser aux Syriens à la radio, qualifiant les rebelles de terroristes. Si bien que, sans être au centre du film, la guerre apparaît de façon omniprésente et fait intégralement partie de l'histoire, comme elle fait d'ailleurs aujourd'hui partie de celle de tout le peuple syrien.
C'est ce mélange entre documentaire et fiction qui permet à la réalisatrice Gaya Jiji de résister, à sa manière, contre le régime de Damas. Et surtout de rendre hommage à celles et ceux qui ont filmé et dénoncé en premier la violence des forces de l'ordre face aux manifestants.
Un film impossible à tourner en Syrie
La réalisatrice fait partie de la population syrienne qui a dû s'exiler. Elle vit depuis 2014 à Paris et pour réaliser ce film, elle a choisi le décor de la ville d'Istanbul en Turquie. Les conditions de tournage y sont beaucoup plus libres qu'en Syrie où il est actuellement impossible de produire une oeuvre critique de ce type.
J'ai essayé de prendre quelques petites images de la rue afin de voir ma ville dans mon film. Mais même ça, ce n'était pas du tout possible.
Certains artistes opposés au régime sont pourtant restés dans le pays ou y sont retournés après quelques années d'exil pour militer et créer des oeuvres d'art critiques envers le régime. Mais cela reste très difficile et demande beaucoup de discrétion. Alors y faire un long métrage comme celui de Gaya Jiji, c'était totalement impossible.
Un cinéma arabe en constante évolution
En plus d'être anti-régime, le récit de "Mon tissu préféré" est aussi féministe puisqu'il dénonce l'enfermement des femmes dans la société syrienne, leur besoin de liberté et d'émancipation. Un sujet extrêmement difficile à aborder dans ce pays, y compris parmi les groupes rebelles.
J'ai voulu raconter le parcours d'une jeune femme syrienne qui cherche sa liberté, en particulier sa liberté sexuelle. Et comment cela devient à un moment donné un engagement politique. Pour cela, j'ai eu des réactions très violentes dans le monde arabe mais aussi dans le monde occidental.
Les critiques s'attaquaient au choix de la cinéaste de parler du contexte syrien à travers la sexualité et non pas d'une manière réaliste. "Je pense que l'on a une image du cinéma du Moyen-Orient que l'on doit changer et dire que les cinéastes de cette région ont la liberté de traiter les problèmes politiques d'une manière différente, ce qui était aussi le cas en Europe", explique la cinéaste.
Un film doublement révolutionnaire et très loin des clichés sur le Moyen-Orient. La preuve que le cinéma arabe évolue. Un cinéma d'ailleurs de plus en plus présent dans les grands festivals. De Cannes à Venise en passant par les Oscars, le septième art offre ces dernières années une vitrine sur cette région.
Sujet radio: Sophie Iselin
Adaptation web: aq