Le 22 novembre 1995 sortait dans les salles américaines un objet novateur qui allait bouleverser le cinéma d’animation. Coproduit par les studios Pixar et Disney, "Toy Story" s’affirmait comme le tout premier long-métrage d’animation en images de synthèse. Le concept relevait presque de la profession de foi pour les créateurs de Pixar: donner vie à des jouets en plastique par la magie du numérique. Le shérif Woody, l’astronaute Buzz l’éclair, madame et monsieur Patate, Rex le dinosaure et la Bergère étaient nés, s’animant dans la chambre de leur propriétaire, Andy, 8 ans.
"Vers l’infini et au-delà" clamait Buzz l’éclair comme une annonce du succès fracassant qu’allait connaître la saga "Toy Story". L’épisode initial rencontrera un triomphe critique et commercial définitif (362 millions de dollars de recettes dans le monde). En 1999, "Toy Story 2" narrait le kidnapping de Woody, qui découvrait son passé de figurine star, par un collectionneur de jouets rares. Là encore, les recettes mondiales, 485 millions de dollars, seront vertigineuses. Une miette comparée au 1,235 milliard de dollars engrangés sur le globe par "Toy Story 3" (2010), où Andy, 17 ans, abandonnait ses anciens jouets échoués dans une garderie cauchemardesque.
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Une série existentielle
En quinze ans, ce qui s’apparentait encore à une trilogie avait creusé tout le potentiel esthétique et thématique de "Toy Story". Chaque nouvel épisode repoussait les limites de l’animation en images de synthèse, jouant sciemment avec l’ambiguïté d’une technologie à cheval entre l’artificialité pure du dessin animé et le réalisme du cinéma en prises de vues réelles. Qui plus est, les personnages de "Toy Story" évoluaient de manière prodigieuse dans le cadre d’une authentique fable existentielle en trois chapitres.
Dans le premier volet, la crainte d’être remplacé par un jouet neuf dictait les actes de jouets soudain conscients de leur périssabilité. Déjà magistral dans sa manière de poser un monde où ces personnages en plastique ignoraient encore leur condition de pantins, la saga s’élevait à un degré supérieur avec "Toy Story 2", chef-d’œuvre absolu où Woody le shérif prenait connaissance de son passé de figurines star, de ses origines, et donc de son statut de jouet. Un dilemme se posait alors à lui: devenir une pièce de musée précieuse, mais sans utilité, ou retourner dans les bras d’Andy, son jeune propriétaire.
Après avoir accepté son identité véritable, sa fonction première et ses limites, Woody ne pouvait plus faire face qu’à une seule nouvelle épreuve: celle de l’abandon. Peuplé de jouets abîmés par l’existence, délaissés comme de vieilles chaussettes, "Toy Story 3" bouclait la saga sur une note mélancolique bouleversante, tel un adieu magnifique au monde de l’enfance.
"Toy Story 4", l’épisode de trop?
Presque dix ans se sont écoulés. John Lasseter, père de la saga, réalisateur des deux premiers volets, patron des studios Pixar avant de prendre en charge la section animation de Disney, s’est retiré de la firme aux grandes oreilles, avant d’être licencié en 2018 suite à des accusations de gestes déplacés et de comportement inadéquats.
Orphelin de son génial géniteur, "Toy Story 4" sort au moment où les spectateurs qui avaient l’âge d’Andy à l’époque du premier "Toy Story" ont maintenant la trentaine. Un quatrième volet qui, à défaut d’apporter quelque chose de neuf à une trilogie qui se suffit à elle-même, offre une ultime immersion nostalgique dans un coffre à jouets refermé, rangé dans le grenier de nos plus beaux souvenirs de spectateurs.
Rafael Wolf/aq