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"Yesterday", et si les Beatles n’avaient jamais existé?

Une scène du film "Yesterday", avec Himesh Patel. [Universal Pictures - Jonathan Prime]
Et si les Beatles nʹavaient jamais existé ? / Vertigo / 9 min. / le 3 juillet 2019
Mis en image par Danny Boyle et scénarisé par Richard Curtis, "Yesterday" narre l’histoire d’un musicien raté qui se réveille, un jour, dans un monde sans Beatles. Une uchronie réussie sur le plagiat, l’hommage et la transmission.

La scène se déroule sur la terrasse d’un café. Habitué à récolter les bides devant un public clairsemé, l’aspirant musicien Jack Malik entonne, guitare à la main, le fameux "Yesterday". Ses amis présents restent cois, saisis par une émotion inconnue. Malik achève sa reprise sans se douter que ses camarades, n’ayant jamais entendu parler des Beatles, pensent dur comme fer qu’il vient à l’instant de composer un chef-d’œuvre. "Ce n’est pas 'Fix me' de Coldplay" tempère tout de même l’une des auditrices peu perspicaces, renvoyant le héros de "Yesterday" à un abîme de perplexité.

Il ne faudra pas plus d’un black-out mondial pour justifier que, du jour au lendemain, la planète entière ait oublié toute existence des Beatles. Seul Jack Malik se souvient de "Let it be", "Yesterday", "Hey Jude" ou "Back in the USSR", même si retrouver les paroles exactes de ces classiques se révèle parfois plus ardu que prévu.

Et lorsqu’il joue en public les tubes des Beatles en faisant croire qu’il s’agit de ses propres compositions, la réaction est plutôt tiède. Comme quoi, il ne suffit pas d’un air génial pour devenir une star planétaire.

La célébrité arrivera lorsque le vrai Ed Sheeran, la popstar anglaise qui joue ici son propre rôle, reconnaît le génie de Jack Malik et l’invite à se produire en première partie de ses concerts.

Un monde amnésique

Le concept s’avère réjouissant. Le film ne l’est pas moins, même si l’on aurait aimé un traitement un peu moins sage. La love story contrariée entre Jack Malik et une amie d’enfance n’est pas des plus marquantes. La description de l’industrie musicale, notamment d’une productrice cupide archi-caricaturale, n’est pas des plus subtiles.

Et les autres absents de ce monde bien amnésique - en plus des Beatles, Coca-Cola, le groupe Oasis et… les cigarettes n’existent plus dans cet univers uchronique - ne produisent pas grand-chose d’autres que des clins d’oeil amusants, mais anecdotiques.

Créer ou transmettre ?

Une des affiches de "Yesterday" qui s'inspire de la pochette de "Abbey Road". [Universal Pictures International France]
Une des affiches de "Yesterday" qui s'inspire de la pochette de "Abbey Road". [Universal Pictures International France]

En dépit de ces bémols, "Yesterday" s’avère enthousiasmant à plus d’un titre. Le héros déjà, incarné par le débutant Himesh Patel, fait preuve d’une absence de cynisme et d’une réelle passion musicale qui le rendent terriblement attachant.

Et lorsqu’un des membres, anonymes forcément, des Beatles apparaît le temps d’une séquence bouleversante, "Yesterday" dépasse définitivement le stade de la simple comédie maline pour creuser un sillon plus profond qu’attendu.

Jack Malik trouve-t-il davantage son plaisir, et sa raison d’être, dans le fait de transmettre, d’enseigner l’œuvre de génies, plutôt que de faire croire qu’il a créé les chansons des Beatles? La réponse donnée par le film se révèle aussi forte que pertinente.

Le politiquement correct épinglé

L’ancrage contemporain de l’histoire réserve par ailleurs quelques moments jubilatoires épinglant la logique de l’industrie musicale, l’emballement frénétique des réseaux sociaux et la stratégie marketing à l’heure du politiquement correct. Le "White Album", en référence au mythique double disque des Beatles, ne passe plus, jugé trop clivant. Quant à "Hey Jude", il en faut très peu pour qu’il ne soit rebaptisé "Hey Dude" par quelques oreilles mal avisées.

"Yesterday" aborde aussi au passage la question de la gratuité de la musique, libre d’accès à tous, avec une pique à la marchandisation, au copyright excessif appliqué à un répertoire qui devrait appartenir au monde entier. Quand on sait que "Yesterday" est produit par Universal, mastodonte du cinéma et de la musique, la proposition apparaît plutôt subversive.

"Yesterday" accusé de plagiat

Fable sur le plagiat, l’hommage et la transmission, "Yesterday" se retrouve, aujourd’hui de manière tout à fait ironique, accusé lui-même de plagiat. Une mise en abîme assez piquante pour Danny Boyle ("Slumdog Millionnair", "La plage") et son scénariste Richard Curtis ("Notting Hill", "Love Actually", "4 mariages et un enterrement"), dont le film présente des similarités troublantes avec une bande-dessinée française de 2011: "Yesterday" de David Blot, histoire d’un homme qui remonte le temps, se retrouve au début des années 1960, avant que les Beatles existent, et devient une star en s’appropriant leur répertoire.

Une différence de taille

La différence est pourtant de taille entre un héros qui devance les Beatles en devenant célèbre à leur place et un autre qui, sans son imposture magnifique, aurait condamné le monde à ne jamais connaître une seule chanson des Beatles.

Certains verront également des parallèles entre le concept de "Yesterday" et celui de "Jean-Philippe" (2006) de Laurent Tuel. Fabrice Lucchini, fan de Johnny Hallyday, se réveille dans un monde où personne n’a entendu parler de son idole. Jean-Philippe Smet existe bel et bien, mais il est patron de bowling et a raté sa carrière à cause d’un accident de scooter.

Reste qu’on aura du mal à trouver des points communs entre "Jean-Philippe" et "Yesterday" tant leur propos, leur forme et leur traitement diffèrent radicalement.

Rafael Wolf/mcm

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