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Fredi Murer: "J'ai refusé le prix oecuménique pour "Höhenfeuer"

Fredi Murer. [Keystone - Gaetan Bally]
Fredi Murer / Vertigo / 7 min. / le 16 août 2019
Le festival de Locarno a décerné, jeudi dernier, un Pardo d'honneur à Fredi Murer, le cinéaste des hauteurs. Le réalisateur suisse alémanique de 78 ans revient sur quelques moments forts de sa carrière d'autodidacte.

C'est l'un des cinéastes suisses les plus importants, les plus admirés et l'un des plus méconnus. Le festival de Locarno lui a décerné jeudi dernier un Pardo d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre. Mais parmi les 22 films de sa carrière commencée en 1965, il en est un que Fredi Murer, cinéaste des hauteurs, préfère entre tous: "Höhenfeuer" ("L'âme soeur") sorti en 1985, drame d'un inceste montagnard aux accents de tragédie grecque.

>>A regarder, un extrait de "Höhenfeuer", de Fredi Murer:

"C'est mon film le plus important, un pivot. Je l'ai réalisé au milieu de ma vie. Tous les films tournés avant ont mené à lui, et sans "Höhenfeuer", j'aurais eu beaucoup de problèmes à financer les suivants", dit le cinéaste de 79 ans, qui a profité de son escale à Locarno pour rendre hommage à deux êtres chers récemment disparus, l'acteur Bruno Ganz et le caméraman Pio Corradi.

L'Eglise voulait se donner une image progressiste

"Höhenfeuer", un chef-d'oeuvre sur la naissance du désir et son innocence, a reçu de nombreux prix, dont le Léopard d'or en 1985 et... le prix œcuménique que Fredi Murer a refusé.

J'ai été choqué de recevoir le prix œcuménique. J'avais l'impression qu'on voulait faire du film un enjeu moral, ce qui n'était pas du tout mon intention. En tournant "Höhenfeuer", je souhaitais montrer la vie plutôt primitive qui existait dans les Alpes suisses. Avec ce prix, j'avais l'impression que l'Eglise entendait participer au succès du film et en profiter pour se donner une image progressiste.

Fredi Murer, cinéaste suisse

Avant "Höhenfeuer", il y a eu un autre film marquant dans la carrière de Fredi Murer, "Grauzone" (1979) qui préfigure un des thèmes récurrents du cinéaste autodidacte: des personnages qui se battent contre le système, ici incarné par une mystérieuse épidémie. "Je l'ai tourné dix ans après 68 quand les idéaux étaient retombés en "zone grise". Certains soixante-huitards s'étaient reconvertis dans la banque ou les assurances, d'autres dans une forme d'ésotérisme, autant de manières de fuir le monde".

La différence comme motif récurrent

"Grauzone" a été présenté à Locarno en même temps que "Les petites Fugues" de Luc Yersin, qui a connu un grand succès en Suisse alors que "Grauzone" a été boudé. "Mon film a suscité plus d'intérêt en France qu'ici, ce qui m'a fait un peu mal", raconte le cinéaste.

Ce désamour s'explique en partie par la relation conflictuelle entre cinéma et télévision suisse alémanique alors qu'en Suisse romande, les Tanner, Goretta ou Sutter ont travaillé pour la TV avec beaucoup de liberté.

On était un peu jaloux des Romands. En Suisse alémanique, la télévision est tenue par des journalistes qui veulent toujours tout expliquer. Par exemple, j'ai réalisé un documentaire sur le sculpteur Bernhard Luginbühl. La TV l'a n'en a pas voulu parce que le film était sans commentaire, ils auraient souhaité les explications d'un expert...

Fredi Murer, cinéaste

Fredi Murer a connu son plus grand succès international avec "Vitus" (2006) qui revient sur l'un des thèmes fétiches du cinéaste: la différence comme fardeau et comme bénédiction. "Vitus" raconte l'histoire d'un enfant surdoué, génie du piano, dont le parcours exigeant a été planifié par ses parents. Mais lui ne rêve que d'une chose, devenir "normal"!

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert/mcm

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