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Pourquoi aime-t-on répéter que le cinéma français est en crise?

Le producteur Dominique Besnehard au Festival de Cannes 2019.
Sébastien BERDA
AFP [Sébastien BERDA]
Le cinéma français est-il en crise? / Nectar / 27 min. / le 28 août 2019
Le festival du film francophone d'Angoulême, qui s'est terminé le 25 août, témoigne d'une belle diversité dans le cinéma hexagonal. Et ce malgré une baisse constante de la fréquentation en salles.

C'est devenu une ritournelle. Chaque année, les médias français s'interrogent sur la crise de leur cinéma: trop de films produits qu'on ne voit jamais; pas assez de qualité; manque de diversité de l'offre; monopolisation des écrans par les grosses productions; formatage par et pour la télévision; manque de scénaristes. Mais qu'en est-il vraiment?

En crise depuis trente ans

Cédric Kahn officie comme cinéaste, acteur et scénariste depuis trois décennies. Voilà ce qu'il en pense:

Depuis que je suis dans le métier, on dit que le cinéma est en crise. C'est un peu comme "Pierre et le Loup". Bien sûr, notre cinéma a ses convulsions, ses ratés et ses changements. Certains en ont peur. Moi pas. Artistiquement, il y a encore beaucoup de propositions."

Cédric Kahn, cinéaste, acteur et scénariste

L'année dernière, par exemple, le cinéaste a pu tourner "La Prière", un film âpre sur un toxicomane qui se recontruit grâce à une vie monacale, alors que cette année, il propose une comédie au casting prestigieux, "Fête de famille", avec Catherine Deneuve, Emmanuelle Bercot et Vincent Macaigne, dont la sortie est prévue la semaine prochaine.

Sa force? La diversité

Ce qui fait la force du cinéma français, c'est sa diversité, à l'image du Festival du film francophone d'Angoulême, où les films d'auteurs les plus pointus cohabitent avec les comédies les plus populaires. A l'intérieur même des films d'auteurs, il y a des grands écarts. Du drame existentiel des bobos parisiens aux coproductions avec des pays du Maghreb, l'éventail est vaste. A quoi faut-il attribuer cette force? A la fameuse exception culturelle qui assure des modes de production différents.

Cette mesure repose sur l’idée que la création culturelle n'est pas un bien marchand. Par conséquent, son commerce doit être protégé par d'autres règles que celles de la seule loi de marché. Dit autrement, la France joue la carte du protectionnisme.

Comment ça marche?

Concrètement sur chaque billet de cinéma vendu en France, le Centre national du cinéma (CNC) prélève un pourcentage qui ira alimenter un fonds de soutien à la création cinématographique hexagonale, la fameuse avance sur recette.

Il faut encore ajouter le crédit d’impôt, donc des déductions fiscales si vous produisez en France. Mais aussi les aides apportées par les régions qui voient là un bon moyen de promouvoir leur territoire et le placement de produits qui oblige parfois les cinéaste à tourner des écrans publicitaires plutôt qu’à réaliser des œuvres d’art. Sans oublier une loi qui contraint les télévisions à injecter de l’argent dans la production cinématographique, et dont le pourcentage est calculé sur la base de leur chiffre d’affaires.

Evidemment, ces mêmes TV ont tendance à financer les films qui feront de l'audience sur leurs chaînes.

Le vrai danger, les géants

Le vrai danger désormais provient de géants comme Netflix ou Amazon, qui détournent les spectateurs des salles de cinéma au profit de leur propre plateforme VOD. Comme ces plateformes ne participent que modestement au financement du cinéma via une taxe ridicule, le CNC enregistre moins d'entrées, donc moins d'argent à redistribuer.

Pour Dominique Besnehard, initiateur du festival d'Angoulême mais aussi producteur, le danger reste avant tout américain. "Le cinéma français se porte relativement bien parce qu'il est aidé par l'Etat. Cette superprotection, un peu protectionniste, a permis à la France de conserver sa cinématographie, contrairement à l'Italie ou l'Espagne qui ont perdu la leur."

Cela étant, le producteur admet que le cinéma hexagonal a besoin d'un nouvel élan

L'an passé, nous avons projeté "Shéhérazade", monté avec très peu d'argent. Ces films-là apportent du sang neuf. C'est un peu comme avant la Nouvelle Vague. Elle a révolutionné le cinéma, pas seulement par son regard neuf, mais aussi parce qu'elle n'avait pas d'argent et qu'elle a inventé un autre mode de production.

Dominique Besnehard, initiateur du festival d'Angoulême mais aussi producteur et agent.

Mais ce n'est pas si simple: un succès ne vous met pas forcément à l'abri des refus. Ladj Ly, le réalisateur des "Misérables", une immersion dans une banlieue parisienne, en sait quelque chose.

Avant "Les Misérables" - primé à Cannes ce printemps - il avait réalisé un court sur le même thème. Sélectionné pour les César, Ladj imaginait alors que son long-métrage serait facile à financer. Et bien non! Pas un euro! Quand on n'a pas fait d'école de cinéma, que l'on vit en banlieue et qu'on n'a pas de réseau, il n'est pas facile d'être aidé.

Au lieu de se plaindre, Ladj a monté une école de cinéma dans sa banlieue, formé trente personnes en six mois et produit cinq films. "Il faut tout repenser", lance-t-il au micro de la RTS.

Rester fidèle à ses convictions

Autre chemin non balisé, celui de Grand Corps Malade et Mehdi Idir qui après le succès de "Patients", un film drôle et émouvant sur le handicap, viennent de réaliser leur deuxième long-métrage, "La Vie scolaire". Portés par le succès de leur film précédent, les deux amis auraient pu travailler avec des acteurs à succès, ficeler une comédie comme en attendent les télévisions et gagner beaucoup d'argent.

Mais les deux hommes n'ont pas voulu brader leurs convictions pour quelques euros de plus. Pour "La Vie scolaire", ils ont gardé la même équipe, ont tourné dans une cité parisienne mouvementée, avec les gens du quartier, les inconnus se mêlant aux acteurs plus professionnels, parmi lesquels Zita Hanrot, César du meilleur espoir féminin en 2016 pour son interprétation dans "Fatima" de Philippe Faucon. Leur secret de fabrication? "Beaucoup travailler en amont."

>> Lire aussi : Grand Corps Malade défie les clichés sur les cités dans "La vie scolaire"

Philippe Congiusti/mcm

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