"La Piscine", de Jacques Deray, sorti en 1969, met en scène Alain Delon et Romy Schneider dans une histoire d’amour, de haine et de jalousie qui se déroule dans une somptueuse maison de Saint-Tropez.
Chapitre 1
Un drame inéluctable
AFP
Dans "La Piscine", Alain Delon et Romy Schneider jouent un couple de trentenaires soumis à la tentation et à la jalousie quand débarque dans leur maison de vacances Maurice Ronet, ancien amant de l’une et ami de l’autre, avec sa fille de 18 ans interprétée par Jane Birkin. Le drame est inéluctable.
Le succès du film de Jacques Deray repose principalement sur les interprètes qui habitent cette histoire, cette montée de haine et de violence d’un quatuor amoureux.
D’autant que Romy Schneider et Alain Delon ont été fiancés et se retrouvent à l’écran des années plus tard à rejouer leur amour. L’érotisme sous-tend le film, rendant séduisant jusqu’au meurtre car la piscine finit par se transformer en arme liquide.
La musique de Michel Legrand accompagne et orchestre ce huis clos au grand air. Mai 68 et ses révolutions semblent décidément bien loin des préoccupations estivales des protagonistes de l’histoire.
Tourné dans un ordre chronologique par un Jacques Deray au somment de son art, "La Piscine" permet à Romy Schneider d’entamer la seconde partie de sa carrière, française, la plus intéressante, cassant son image de Sissi pour devenir enfin femme à l’écran.
Quant à Alain Delon, ce film est le premier d’une longue collaboration avec Jacques Deray avec qui il fera, juste après, "Borsalino".
Jean-Paul et Marianne vivent ensemble depuis deux ans et demi. Ils profitent de l’été dans une superbe villa avec piscine au-dessus de Saint-Tropez. Les cigales chantent, le soleil brille, ils sont amoureux. Mais s’invitent dans leur bonheur Harry, meilleur ami de Jean-Paul et ancien amant de Marianne. Harry est un peu poseur, un peu play-boy vieillissant; il travaille dans une maison de disque. Il arrive un matin au volant d’une Maserati chez ses amis en compagnie de sa fille Pénélope, 18 ans.
Harry et Pénélope s’installent dans la villa pour quelques jours, ce qui ne plaît pas du tout à Jean-Paul, piqué par la jalousie.
Un soir, Harry revient de Saint-Tropez avec tout un groupe de connaissances, faux-amis et pique-assiette. Pendant que la fête bat son plein, Jean-Paul voit Marianne danser tendrement avec Harry et décide de se rapprocher de Pénélope. Le lendemain, les invités sont partis, les jeux de haines, de jalousie se mettent en place. Marianne quitte la maison. Jean-Paul se met à boire. Harry aussi.
Les deux hommes s’énervent. Harry tombe dans la piscine. Jean-Paul l’empêche de remonter et finalement lui maintient la tête sous l’eau et le noie. Il sort le corps de l’eau, le déshabille et le rejette à l’eau. Après l’enterrement, sinistre, Pénélope, Jean-Paul et Marianne se retrouvent dans la maison. Arrive alors un inspecteur peu convaincu de la thèse de l’accident…
C’est un film étrange que cette "Piscine", à la fois angoissant, et troublant. C’est une peinture de mœurs, d’une bourgeoisie affirmée, bien loin des préoccupations sociales et estudiantines de mai 68 qui agitent l’opinion publique à ce moment-là.
Aucune allusion à ces grandes bourrasques du printemps n’est faite dans l’histoire. Certes, il y a bien l’amour libre, quasi décomplexé d’une génération qui connaît enfin le bonheur de la pilule. Mais c’est à peu près tout.
"La Piscine" est une histoire d’amour et de haine, en huis clos. Un polar psychologique. Une belle villa, une piscine, une pinède, le soleil, la chaude lumière de l’été, les cigales, et le couple trop beau, trop parfait, jusqu’à l’intrusion de l’autre, un cynique play-boy grisonnant et sa fille de 18 ans, effacée et un poil perverse. Tout est posé. Le drame peut se dérouler.
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Chapitre 3
Quelques secondes de folie
"J’ai fait ce film pour de nombreuses raisons, avouera le réalisateur Jacques Deray, mais il en est une qui reste primordiale. Pour moi la scène du meurtre est celle qui éclaire tout le film. Nous avons tous eu dans la vie quelques secondes de folie qui pouvaient compromettre toute notre existence. Il m’est par exemple arrivé d’avoir l’impulsion de pousser quelqu’un dans le vide. Cela dure quelques secondes et le passage à l’acte bien entendu ne se fait pas. Mais ces quelques secondes s’avèrent un moment fascinant".
A l’origine du film, nous trouvons Alain Page, qui écrit aussi sous le nom de Jean-Emmanuel Conil. C’est un ami de Jacques Deray. Il vient d’écrire un petit scénario. Jacques Deray lit d’une traite ces trente pages. C’est encore une ébauche d’histoire, mais c’est passionnant. Les pages ne sont pas encore éditées.
Deray tombe amoureux de cette "Piscine" et en achète personnellement les droits le 6 mars 1967. Il essaie de monter le projet dans la foulée. Mais personne n’en veut.
"Il ne se passe rien dans votre histoire" lui dit-on. Il trouve finalement, fin 1967, un producteur qui veut bien l’épauler et qui fait plus confiance à l’histoire qu’à lui.
Deray engage alors Jean-Claude Carrière pour l’écriture du scénario. C’est le début d’une longue et fructueuse collaboration. Pendant que Jacques Deray s’attache aux repérages, au casting et au montage financier, le scénariste peaufine, élague encore ses dialogues pour n’en garder que très peu, juste ce qu’il faut.
C’est presque un drame sans paroles. Avec Deray, ils se voient à intervalles réguliers pour faire le point. Le scénariste fait même des dessins de certaines scènes parce qu’il adore dessiner. Il joue les scènes devant le réalisateur.
Quand tout est terminé, le réalisateur reprend le projet pour lui donner sa forme cinématographique.
Jacques Deray est un réalisateur à l’ancienne, un parfait professionnel. Un technicien, dit-on dans le milieu. Assistant de Boyer et de Buñuel, Deray s’impose rapidement comme un pro avec des policiers comme "Rififi à Tokyo" ou "Un homme est mort". On le voit comme le digne successeur de Jean-Pierre Melville, alors maître incontesté du film policier français.
Avec "La Piscine", le réalisateur veut jouer la carte Agatha Christie à la mer, avec des personnages un peu pervers en vacances au soleil. Il cherche à étudier le caractère de la faune parisienne qui se déverse l’été venu du côté de Saint-Tropez. Il y a, dans ce film, des souvenirs de Françoise Sagan et de Joseph Losey.
"Dans 'La Piscine', j’ai voulu suivre pas à pas les personnages, les observer dans leurs mille gestes quotidiens en laissant au spectateur l’impression qu’il peut deviner leurs actes. Mais les réactions de ces personnages sont toujours imprévues. Et dans ce sens, je crois que la Piscine surprendra le public" expliquera le réalisateur au moment de la sortie du film.
Il fait un chef-d’œuvre de mise en scène, avec une mécanique sous-jacente continue. Tout se passe sous la parole, sous les situations, sous les personnages. Un ensemble, fonctionnant en tensions. La technique s’éclipse au profit de l’histoire.
Du grand art qui vaudra au réalisateur, au scénariste et aux acteurs, la reconnaissance du public et de la profession.
Chapitre 4
Le couple mythique Delon-Schneider
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"La Piscine" a un casting exceptionnel. Romy Schneider, Alain Delon, Jane Birkin, Maurice Ronet. Mais en 1968, au moment de tourner le film, ce n’étaient pas vraiment ces acteurs qui étaient prévus.
1968 est l’année Delon. Il a 33 ans et il est heureux. En avril 1968, l'acteur monte sur les planches au Théâtre du Gymnase. La pièce est critiquée, mais l’interprétation de l’acteur saluée. Peine perdue. Théâtre et révolution estudiantine ne font pas bon ménage.
En mai 68, la révolution de la jeunesse éclate et les contestataires exigent la fermeture de tous les théâtres. Ça arrange Delon, engagé sur le tournage de "La Piscine".
Au début, Alain Delon n’est absolument pas prévu au casting. Jacques Deray pense diriger Monica Vitti et Claude Rich. C’est le producteur qui lui suggère Delon. D’autant que l’acteur est emballé par le rôle.
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Pour l’actrice principale, Jacques Deray pense un temps à Leslie Caron, à Natalie Wood. Alain Delon évoque Romy Schneider.
L’actrice est dans une période un peu creuse, elle vit à Berlin avec son mari, son fils David, 18 mois. Elle se démène pour faire carrière, elle, la princesse Sissi qui a beaucoup de peine à s’imposer en tant que femme et plus en tant que jeune fille en fleur à l’écran.
Delon doit pousser, insister, menacer. Romy Schneider a enchaîné quelques fiascos. Mais Jacques Deray adhère très vite à l’idée. Parce qu’il sait que Romy Schneider et Alain Delon se sont aimés.
Quatre ans de fiançailles, de 1959 à 1963. Ils étaient un couple très en vue. Les fiancés de l’Europe, si beaux, si jeunes. Et puis, ils se sont quittés.
Ils sont à présent des amis. Chacun marié de son côté, Romy Schneider avec Harry, Alain Delon avec Nathalie qu’il quittera pendant le tournage pour Mireille Darc.
Pour Jacques Deray, reformer le couple mythique est une vraie opportunité. Ils formeront à l’écran un couple crédible.
Je veux un vrai couple, un homme et une femme qui n'ignorent rien l'un de l'autre, qui savent mutuellement de quoi ils sont capables.
Les médias cherchent à faire revivre la flamme entre les deux acteurs. Ça fait vendre du papier. Mais si le couple à l’écran se sert de son histoire et de la connaissance de leur corps, il n’y a pas d’ambiguïté. Alain Delon dira encore: "Il n'y avait plus de passion entre Romy et moi. C'était autre chose, plus fort, plus puissant, plus que les mots ne peuvent le dire."
Mais si les retrouvailles de Romy Schneider et d’Alain Delon attirent tous les regards, "La Piscine" est aussi l’occasion d’une autre retrouvaille entre Alain Delon et Maurice Ronet, 9 ans après leur duel magnétique de "Plein Soleil".
Et puis, il y aura la rencontre avec une jeune comédienne anglaise et longiligne de 21 ans, Jane Birkin. Elle a traîné dans ses bagages un amoureux jaloux qu’elle a rencontré sur un tournage précédent et qui se nomme Serge Gainsbourg.
Gainsbourg, lui, embarque son revolver des fois qu’Alain Delon se mettrait en tête de lui ravir sa nouvelle conquête.
Delon fera rire Romy Schneider et toute l’équipe du film en embarquant systématiquement Jane Birkin dans sa voiture, attisant la jalousie de Gainsbourg qui s’en ira prendre des cuites au comptoir du café Sénéquier de Saint-Tropez. Mieux qu’un coup de revolver.
"Mon sujet est clair, explique Jacques Deray à Henry Chapier au moment de la sortie du film. Il est clair, et même assez banal. C’est la forme, ce classicisme têtu, cette sorte de sagesse dont on a perdu l’habitude depuis que les caméras virevoltent, que les montages explosent, que le générique devient un cocktail Molotov qui éclate en plein milieu d’un récit. Ici, c’est du classicisme en matière de filmer qui ne tolère pas la fioriture, une sobriété nécessaire pour atteindre l’esprit ou la sensibilité du spectateur qu’on a trop soumis ces dernières années aux électrochocs en séries, que se soit pour l’image ou le son".
Le tournage débute le 19 août 1968 dans une belle villa aux environs de Saint-Tropez, précisément à Ramatuelle. Il fait beau. Les cigales chantent. On voit miroiter la mer au loin. La piscine reflète les pins. Tous les acteurs sont heureux d’être là.
Pour Romy Schneider et Alain Delon, ce sont de vraies retrouvailles. Leur complicité est évidente. Leurs corps se connaissent par cœur. Ils n’ont aucun problème à jouer la scène d’ouverture quand les deux amants s’enlacent et s’embrassent au bord de la piscine. Romy Schneider rayonne.
Jacques Deray tourne en ordre chronologique. Plan après plan. Dans le temps réel de l’action. En deux langues, anglais et français. Le réalisateur est omniprésent, compréhensif, présent, gentil. Il est calme. Il fait régner au sein de l’équipe d’acteurs et de techniciens une ambiance excellente.
Toute son équipe colle au corps du réalisateur. Chacun sait ce qu’il doit faire, au moment voulu. Pour les acteurs, tourner dans l’ordre chronologique les aide à entrer pleinement dans leur rôle. Alors que la piscine se remplit peu à peu de feuilles mortes, ils perdent leur bronzage du début. Le changement de saison intervient au moment du drame. Rien n’est laissé au hasard, ni la lumière, ni la couleur du paysage.
Quant au réalisateur, il nous dit ceci: "La nature m’a aidé. Au début la piscine était belle, ensoleillée, tout le monde voulait se baigner et puis petit à petit, au fur et à mesure que le drame s’installait, la nature s’assombrissait…à la fin les arbres n’ont plus de feuilles, il fait froid, les personnages ne se regardent plus de la même façon. C’est toujours excitant pour un metteur en scène de pouvoir bénéficier d’un lieu comme celui-là, qui joue avec les personnages."
Au niveau technique, Deray innove dans sa "Piscine", en utilisant un objectif à foyer variable. Il ne quitte jamais la caméra. Il s’accroche à la pensée du personnage. Pas de panoramiques savants. Il veut aller en permanence vers le regard. Il travaille comme un entomologiste. Il a la chance d’avoir Delon, Schneider, Ronet devant l’objectif.
"Avec des acteurs comme ceux-là, la caméra peut s’éterniser un peu en gros plan: on ne s’ennuie pas, précise le réalisateur. Les comédiens ont apprécié ce tournage chronologique. C’est un film tout en finesse, sur les humeurs et les comportements. Les raccords auraient été beaucoup plus difficiles à faire que dans un film d’action s’il avait fallu tourner en désordre".
Il n’y a que Serge Gainsbourg qui n’est pas heureux du tournage. Trop inquiet de voir Maurice Ronet et Alain Delon tourner autour de Jane Birkin. Il avoue à un de ses amis: "Si l'un des deux touche à Jane, je le descends (...) Ce n'est pas tellement Delon qui me fait peur, mais Ronet... Celui-là, avec son air de ne pas y toucher!"
Mais il n’y rien à craindre. Jane Birkin est folle amoureuse de lui. Alain Delon s’amuse de la situation, et surjoue la drague, fait tourner Gainsbourg en bourrique, mais s’en va surtout retrouver Mireille Darc. Quant à Romy Schneider, elle remonte les week-ends à Berlin retrouver son mari et son fils. Maurice Ronet s’amuse lui avec Jacques Deray.
Chapitre 6
Le scandale Markovic
AFP - Derrick Ceyrac
En octobre 1968, Jacques Deray termine le tournage de sa "Piscine" sur les hauteurs de Saint-Tropez. L’ambiance sur le plateau est joyeuse tout autant que sérieuse.
Mais le 1 octobre 1968, on retrouve dans une décharge, à Elancourt, près de Paris, le cadavre d’un homme, déjà en partie décomposé. L’homme a succombé à des coups portés à la nuque et la tête. Le corps est celui de Stefan Markovic, Yougoslave de 31 ans, au passé trouble. On apprend que la victime est impliquée dans un trafic de drogue et qu'il faisait aussi chanter des personnages de la haute société.
Le problème, c’est que Stefan Markovic a été le garde du corps, puis l’ami d’Alain Delon avant qu’un clash ne sépare les deux hommes. Stefan Markovic aurait été l’amant de Nathalie, l’épouse de Delon. Le 3 octobre 1968, les gendarmes viennent déranger le tournage de "La piscine" pour interroger Alain Delon comme témoin.
Le cas Markovic crée un grand tumulte dont Delon est une victime. La notoriété de l’acteur, ses amitiés dans le milieu de la pègre, il n’en faut pas plus pour que le scandale explose. Les ragots courent, la presse le harcèle. L’affaire prend une dimension politique.
Mais cette affaire Markovic a un effet paradoxal sur l’image de Delon et l’opinion publique. Le comédien devient une star à l’aura ambiguë, troublante. Il parvient toutefois à terminer le tournage de "La Piscine" fin octobre.
Il quitte alors son épouse et s’en va poursuivre ses démêlés judiciaires accompagné à présent de Mireille Darc.
"La Piscine" sort le 31 janvier 1969. Le succès est immédiat. Le scandale Markovic a peut-être un peu aidé, mais pas seulement. Tout le monde veut voir à l’écran le couple Delon-Schneider.
Les critiques sont unanimes. C’est une réussite. Un film bien joué et filmé avec maestria.