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Le film "Ad Astra" fait rimer science-fiction et introspection

Brad Pitt dans le film "Ad Astra". [Twentieth Century Fox France]
Débat cinéma / Vertigo / 26 min. / le 18 septembre 2019
Retenu en compétition officielle au dernier festival de Venise, l'épopée spatiale de James Gray emmène Brad Pitt aux confins du système solaire dans une quête éminemment oedipienne.

Le pauvre Brad Pitt est bien esseulé. Sa compagne, Eve (Liv Tyler), vient de le plaquer, lassée de voir le regard de son homme sans cesse tourné vers les étoiles (ad astra, en latin) plutôt que vers elle. L'abandon, il connaît. Son astronaute de père a fui sa famille, quelque 27 ans plus tôt, avant de disparaître lors d'une mission top secret.

Devenu lui aussi astronaute et ingénieur pour l'agence militaro-spatiale SpaceCom, Roy McBride passe son temps à vérifier son pouls et à passer des tests psychologiques: il garde son sang-froid, la tête froide, le cœur froid, traversant sa vie comme un mort-vivant.

Lorsque la Terre est frappée par une série de "surcharges" électriques qui menace d'extinction toute forme de vie dans le système solaire, Roy apprend que Clifford (Tommy Lee Jones), son paternel, pourrait ne pas être mort. Plus dérangeant, on suspecte les jets d'antimatière, provoquant les cataclysmes terrestres, d'émaner de la station orbitale dirigée par son père, et située près de Neptune. Débute alors un long voyage qui va emmener Roy vers la Lune, vers Mars, puis vers la huitième et ultime planète de notre système solaire.

Une odyssée intimiste et thérapeutique

Sauver l'espèce humaine et retrouver son père, faux héros qui se serait mué en fou misanthrope? Tel est le double enjeu développé par "Ad Astra" dont la raison d'être est toute entière contenue dans sa volonté de joindre les opposés. La mise en scène de James Gray, à la fois contemplative et spectaculaire, alternant plans larges et plans très rapprochés, tend à fusionner l'intime et le collectif, le macro et le micro, la science-fiction et la psychanalyse, avec, au cœur du film, une question unique à défaut d'être singulière: sommes-nous seuls ou existe-t-il d'autres formes de vie intelligente?

Epousant la structure narrative de "Apocalypse Now" – voix off du héros, voyage vers les ténèbres, quête d'un personnage opaque déconnecté des hommes et de leur société –, "Ad Astra" affirme ses qualités incontestables. La splendeur des images sculptées par Hoyte van Hoytema, chef opérateur de "Interstellar" et de "Dunkerque" notamment, captive. La musique à la fois anxiogène et élégiaque de Max Richter envoûte. Et le jeu profond, tout en intériorité, de Brad Pitt confirme, après "Once upon a time… in Hollywood", que la star a atteint un pic que les Oscars ne devront pas rater. Quant à la thématique centrale de la filiation, elle ouvre un nouveau champ à une question qui infuse toute l'œuvre de James Gray.

Père toxique qu'on hésite à châtier ("Little Odessa") ou dont on s'écarte avant de marcher dans ses pas ("La nuit nous appartient"), figure paternelle liée au crime ("The Yards"), père tiraillé entre sa famille et sa pulsion exploratrice ("The Lost City of Z"). Le cinéma de James Gray est peuplé de fils condamnés à rester dans l'ombre dévoreuse de leur géniteur. Le héros de "Ad Astra" ne déroge pas à la règle et sa quête se leste d'une dimension thérapeutique qui touche au complexe d'Œdipe.

De la science-fiction introspective

Sans nier l'ambition véritable d'un film que beaucoup qualifient déjà de chef-d'œuvre, on peut émettre quelques réserves à son égard. Dans sa volonté de raconter l'intime par l'immensité sidérale, "Ad Astra" semble contraint par une durée trop courte qui réduit autant sa portée contemplative que sa dimension spectaculaire.

Tout ce qui touche à la sphère privée de Roy McBride paraît désincarné, que ce soit sa compagne, à peine esquissée, ou la problématique paternelle, pourtant essentielle. Quelques brefs flashbacks ont beau ressusciter l'enfance de Roy, aucune scène ne montre le lien, ou l'absence de lien, qui caractérisait la relation entre Roy et son père. Le spectateur n'a dès lors d'autre choix que de se projeter sur cette filiation réduite à un archétype psychiatrique.

Quant à la dimension philosophique ou scientifique du film, là aussi, elle nous laisse sur notre faim. Le contexte géopolitique est trop rapidement dessiné le temps d'une courte séquence sur la Lune, où l'on comprend que l'épopée spatiale se résume désormais à des voyages commerciaux, des galeries marchandes dupliquées sur le modèle terrestre, et des territoires livrés à l'anarchie et aux pirates. La question de notre place dans le cosmos, de l'existence d'autres formes de vie, du temps et de l'espace est évidée de tout mystère, de toute ambiguïté au profit d'une conclusion étonnamment univoque et psychologisante.

L'épopée spatiale pour sonder les failles intimes

On est loin de la complexité métaphysique d'un "2001, l'odyssée de l'espace" ou d'un "Solaris", on reste en deçà de l'immersion visionnaire d'un "Interstellar" ou d'un "Gravity". Et en matière de science-fiction introspective, "Ad Astra" vient après un nombre considérable de films qui ont, chacun à leur manière, pris le prétexte d'une épopée spatiale pour sonder les failles les plus intimes de leurs personnages, que ce soit le deuil d'une fille ("First Man", "Gravity"), d'une épouse ("Mission to Mars") ou d'un père ("Contact").

Autant d'œuvres où les fantômes, les défunts et l'immensité des solitudes humaines trouvaient une résonance autrement plus troublante que dans "Ad Astra".

Rafael Wolf/ld

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