"Les Nuits fauves", le film étendard d’une génération
Grand Format
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Getty Images - Bernard Fau
Introduction
Sorti en 1992, "Les Nuits fauves" est le film des débuts du sida. Le cinéma s'empare alors de cette maladie qui fait peur à tout le monde et met, au centre d'un long-métrage, la question de la séropositivité mais surtout de l'amour et de la soif de vivre.
Chapitre 1
A l'origine, un roman
AFP
A l'origine roman écrit par Cyril Collard, "Les Nuits fauves" devient un film avec lui-même dans le rôle-titre. Pas par soif de reconnaissance, mais parce que personne ne voulait jouer ce rôle d'un trentenaire séropositif qui couche avec une jeune fille de 17 ans sans se protéger et sans l'avertir.
Un rôle dur et fort avec, face à lui, la révélation de Romane Bohringer dont c'est le premier rôle au cinéma.
Les plus jeunes s'identifient à Cyril Collard, le cinéaste reçoit des milliers de lettres qui lui disent merci de les aider ainsi à exister. Il devient le poète de leurs errances, de leurs questionnements en leur donnant envie de vivre à fond avant la mort.
Il devient la personnification juvénile d'une prise de conscience de l'existence et d'une fin possible par le biais de cette maladie qui véhicule beaucoup de mythes, d'incertitudes et de peurs.
La mort le rattrapera juste avant la Cérémonie des Césars en 1993 où son film reçoit le prix du Meilleur film, de la meilleure première œuvre, et du Meilleur espoir féminin.
Chapitre 2
Le synopsis
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L'action du film se déroule en 1986, au début de la prise de conscience de l'existence et des risques du sida. Jean a 30 ans. Il est chef opérateur.
Il est surtout quelqu'un qui brûle la vie par les deux bouts, aime les filles comme les garçons, la vitesse, la cocaïne, et traîne dans des backrooms.
Il sort avec Samy, un peu, parfois. Samy qui aime tellement les coups, tellement en donner, qu'il bascule vers l'extrême droite. A l'occasion d'un casting, Jean rencontre Laura. C'est une jeune fille de 17 ans.
Ils tombent amoureux, couchent ensemble. Il ne lui a pas dit qu'il était séropositif et il n'a pas mis de préservatif. Il ne lui a pas dit non plus pour Samy. Le remord ronge aussitôt Jean.
L'amour trahi, le mensonge, la malédiction: tous les éléments sont réunis pour une tragédie.
Mais l'amour de Laura convertit la menace de mort en pulsion de vie. Quand elle apprend le risque qu'elle court, elle a ce cri du cœur: "Depuis que tu m'a dit que tu étais séropo, je ne pense même pas à moi. C'est pour toi que j'ai peur."
Auprès d'elle et de son amour absolu, Jean redécouvre la vie, même et peut-être surtout maintenant qu'il sait qu'elle est précaire.
"Je vais probablement mourir du sida, mais ce n'est plus ma vie; je suis dans la vie".
La dernière réplique de Cyril Collard dans le film "Les Nuits fauves"
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Chapitre 3
La genèse du film
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Cyril Collard passe une enfance tranquille à Versailles auprès de parents aimants. C'est un sportif hors pair. Il fait des études brillantes, passe son bac à 15 ans, se lance dans des études d'ingénieur. Il n'ira pas bien loin. Il claque la porte et s'en va découvrir le monde.
Porto Rico, des premières expériences homosexuelles, la découverte de la musique, du cinéma, de l'écriture, puis retour en France où il fait la rencontre décisive avec Claude Davy, célèbre attaché de presse de cinéma qui lui ouvre les portes du tout Paris.
On le retrouve assistant réalisateur auprès de Maurice Pialat dans "Loulou", "A nos Amours" et "Police" où il joue un petit rôle. Il se lance dès 1982: courts métrages, un moyen métrage, des clips, un épisode d'une série télé. Il écrit aussi.
Adolescent des années 70, il est porté par la vague de la liberté sexuelle. Mais le sida arrive. Cyril Collard est tenaillé par la peur. Il la couche sur le papier. Il sort un premier roman en 1987, "Condamné Amour", alors qu'il vient d'apprendre sa séropositivité. Puis un second, presque plus autobiographique en 1989, "Les Nuits Fauves".
Cyril Collard raconte en interview avoir abordé le problème du sida, mais pour lui, ce n'est pas le facteur premier. Il raconte une histoire d'amour romantique, pleine d'énergie et qui donne le goût de vivre.
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La séropositivité n'est pas abordée sous l'angle catastrophiste. Il monte au créneau et annonce au monde sa bisexualité et sa séropositivité.
On lui demande un film. Ça ne peut être que "Les Nuits Fauves", même si, en écrivant le roman, il n'avait pas pensé à une adaptation à l'écran. Pour passer du papier au film, il faut un scénario que Cyril Collard écrit, adaptant lui-même son roman.
Ensuite, il court les maisons de production. On lui fait toujours la même réponse: on ne veut pas du film. Jusqu'au jour où il demande à rencontrer la productrice Nella Banfin qui s'occupe, entre autres, de Nanni Moretti. Elle ne veut pas de cette histoire, elle non plus, ça lui semble plombant. Pourtant, elle accepte de le rencontrer. Il lui dit: "c'est vous que je veux. Vous êtes rousse, vous êtes Italienne, vous êtes complètement folle". Mais elle ne cède pas… pas tout de suite.
Quand il voit qu'elle lui échappe, il l'attrape par le regard, la force à plonger ses yeux dans les siens. Puis il lui montre son bras. La maladie a progressé. Il a ses boursouflures, ces taches des sidéens. Il lui dit: "il faut vous décider, je n'en ai pas pour très longtemps".
Alors Nella Banfin dit oui. Soutenu par ses amis, sa productrice, ses interprètes et son équipe, Cyril Collard, écartant les difficultés, engage son corps et son énergie pour enfanter ce film.
Chapitre 4
Le tournage
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Pour incarner le personnage de Jean, Cyril Collard imagine faire jouer Patrick Bruel ou Hippolyte Girardot. Mais tous les acteurs pressentis refusent. C'est un rôle de bisexuel séropositif, qui couche une fois sans préservatif. Pas facile. Comme personne ne veut du rôle, Cyril Collard s'en empare. Pour sa productrice, comme pour tout le monde d'ailleurs, c'est une évidence.
Pour le rôle de Laura, on conseille à Cyril Collard de faire passer le casting à Romane Bohringer, qui vient de jouer dans une pièce de Peter Brook.
Elle apprend la nouvelle de son engagement sur le film à 1h du matin, juste avant de passer son bac de philo. C'est un tournage intense, familial. Tout le monde sent l'urgence du projet. L'équipe entière est resserrée autour de Cyril Collard. On commence par les scènes finales au Portugal. On remontera en France après.
Le film est tourné rapidement, presque entièrement caméra à l'épaule, dans un style boulimique, débridé, rapide, en adéquation entre l'histoire qu'il raconte et les images qu'il montre. Le tournage est toutefois émaillé des séjours de Cyril Collard à l'hôpital.
Mais l'équipe fait corps autour du poète pas encore disparu. On tait l'état de sa maladie, sa progression, la fatigue de Cyril Collard.
Car le réalisateur a choisi de raconter une histoire où l'énergie de la vie est plus importante que la mort. Il inscrit l'amour contemporain par temps de sida dans un romantisme absolu, éternel.
Chapitre 5
Sortie du film et décès de Cyril Collard
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En 1992, l'approche de la maladie que fait Cyril Collard dans son film fait écho chez tous les ados, mais elle n'est pas au centre de œuvre. Le fond, l'essentiel dans lequel les jeunes se reconnaissent tient à l'expression des malaises qui leur sont propres, de leur mal-être. Il met à plat des question énormes, angoissantes qui semblaient trop grosses pour le cinéma. Faut-il croire en la fidélité? Comment aimer? Qui aimer? Y a-t-il des limites au besoin d'absolu?
"Les Nuits fauves" sort en octobre 1992. Le succès d'estime est immédiat. La couverture médiatique est considérable, le public immédiatement réceptif. Les entrées explosent, on veut tout savoir du jeune prodige. Ses biographies colonisent les journaux.
Mais il y a quand même des grincements de dents. On reproche au réalisateur d'être irréfléchi, d'avoir montré une scène d'amour sans préservatif.
"Mon film met le bordel", avoue Cyril Collard. "C'est la preuve que montrer des choses vraies fait bouger. Mais moi aussi, le film m'a fait évoluer. Avouer sa séropositivité est beaucoup plus facile aujourd'hui en 1992 qu'en 1986. La même histoire située en 1992 ferait de Jean un personnage de criminel".
Le jour de Noël 1992, Cyril Collard s'envole pour Rome où il doit superviser la postsynchronisation de la version italienne du film. Il s'effondre. Il ne réapparaîtra pas en public. Mais le film continue de caracoler en tête du box-office, d'autant qu'il est sélectionné pour les Césars.
Mais Cyril Collard ne participera pas au triomphe de son film. Il meurt à 8 heures du matin, au début du jour, à 35 ans, le 5 mars 1993. Le sida a vaincu ce trompe-la-mort, plein d'énergie.
Trois jours plus tard, le 8 mars, au théâtre des Champs-Elysées, a lieu la cérémonie des Césars. Le moment est grave. Romane Bohringer reçoit le César du meilleur espoir féminin. "Les Nuits fauves" gagnent également le César du Meilleur film et de la meilleure première œuvre.
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Chapitre 6
La polémique
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Mais en 1994, un an après la mort du cinéaste, naît une polémique qui écorche encore aujourd'hui son image. Cyril Collard est crucifié par les journaux. Il n'est plus là pour se défendre. On mélange sa vie, son œuvre.
On l'accuse d'être un assassin, d'avoir contaminé une jeune fille, Erika Prou, en 1984. Mais comment Cyril Collard aurait-il pu savoir, en 1984, qu'il était séropositif alors que les tests de dépistage ne sont arrivés en France qu'à partir de 1986? Peu importe, le scandale est là, le mal est fait.
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Mais le film existe, toujours aussi fort. Pendant des années, la scène de l'aveu de la séropositivité du héros, scène clé, alimente les débats. "Télérama" écrit que "Les Nuits fauves" ont eu en trois fois plus d'impact que 6 ans de campagne sur le sida.
Le 1er décembre 1994, le film est projeté à la Télévision suisse romande.
Aujourd'hui, le film reste comme celui qui a donné une visibilité à un mal dont personne ne voulait parler. Les choses ont changé depuis. Mais son message reste intemporel.