"Papicha" est le premier long métrage de fiction de la documentariste Mounia Meddour. Cette Algérienne vit depuis une vingtaine d'années en France après avoir quitté, adolescente, son pays dans les années 1990, décennie noire qui a fait entre 100'000 et 200'000 morts. Son père, le réalisateur Azzedine Meddour, y était menacé de mort.
"Je me souviens de listes affichées dans les rues qui désignaient les noms des gens à abattre, la plupart des intellectuels, des journalistes ou des cinéastes", explique à la RTS Mounia Meddou qui a vécu cette terreur au quotidien et qui s'est inspirée de sa jeunesse algéroise pour raconter l'histoire de ces quatre jeunes filles confrontées à la violence des groupes extrémistes.
Pour autant "Papicha" n'est pas un film sombre. Par sa vitalité lumineuse, il est un hommage à toutes ces femmes algériennes qui par leur courage et leur solidarité ont résisté aux barbus, en continuant de travailler, d’étudier, de sortir, parfois au péril de leur vie.
Nedjma, 18 ans, étudiante habitant une cité universitaire, rêve de devenir styliste. A la nuit tombée, avec ses meilleures amies, elle rejoint la boîte de nuit où elle vend ses créations aux "papichas", jolies jeunes filles algéroises, alors que la situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide de se battre pour sa liberté en organisant un défilé de mode, bravant ainsi tous les interdits.
Pour une Occidentale, un défilé de mode est une futilité. Pour une Algéroise des années 90, c'était un acte politique puissant. C'est autour du vêtement que se jouait, et que se joue toujours, le contrôle des corps des femmes.
Pour bien comprendre la portée symbolique de ce défilé, la réalisatrice rappelle que le haïk, le vêtement traditionnel du Maghreb que remet en valeur son héroïne, était, dans les années 1960, celui que portaient les Algériennes pour combattre l'oppresseur, en l'occurrence le colonialisme. C'est une longue tunique, mélange de soie et de laine, de couleur clair, qui permettait aussi de dissimuler des armes.
Finalement, il fera partie des films sélectionnés aux Oscars
"Papicha" a bénéficié du soutien du ministère de la culture algérien qui a non seulement cofinancé le film - avec la France et la Belgique - mais aussi autorisé le tournage en Algérie et délivré les visas d'exploitation. Et pourtant, la projection du film à Alger a été annulée - sans autre explication.
C'est d'autant plus dommage que l'Algérie d'aujourd'hui, celle de la Révolution du sourire, a soif de fictions, d'incarnations, d'histoires. Il fut un temps où le pays comptait 500 salles de cinéma, il n'en reste que six.
Cette "suspension" a eu une autre conséquence: "Papicha" a été retiré de la liste des films sélectionnés pour les Oscars. "Il faut en effet une diffusion d'au moins sept jours consécutifs dans le pays d'origine pour être sélectionné. Mais nous avons fait une requête auprès de l'Académie, et nous avons été entendus. Je peux vous annoncer en primeur que le film figurera bien parmi les 93 films en course pour les Oscars", se réjouit la réalisatrice.
Une mise en scène immersive
Pour chanter la liberté et dire la vitalité des corps, il fallait une mise en scène tout sauf contraignante. Mounia Meddour filme les cheveux, les regards, les peaux de ses actrices de très près, et ses plans serrés forcent l'identification. "J'ai passé par la fiction pour que mon propos devienne universel".
Mais ce travail ne rimerait à rien si son casting n'était pas à la hauteur. Or, les quatre actrices, qui incarnent chacune un destin différent, sont remarquables. Parmi elles, la valeur montante, celle que désormais le cinéma français s'arrache, Lyna Khoudri, fille d'intellectuels algérois qui, eux aussi, se sont exilés dans les années 1990.
Casting entièrement algérois
Les trois autres comédiennes ont été choisies via les réseaux sociaux puisqu'il n'existe plus d'agences de casting en Algérie et que Mounia Meddou souhaitait que toutes ses actrices soient algériennes et parlent l'algérois, ce mélange très dynamique de français et d'arabe. Shinine Boutella, l'accolyte de Nedjma, est une youtubeuse suivie par 2 millions de followers; Amira Hilda Douaouda qui joue Samira, la jeune amie voilée, est slameuse - c'est dire son travail de composition - et Zahra Doumandji, celle qui rêve de partir au Canada, docteure en biologie.
Propos recueillis par Laurence Froidevaux
Adaptation web: Marie-Claude Martin