La détresse du monde paysan est au coeur du film d'Edouard Bergeon, "Au nom de la terre", avec Guillaume Canet. Construit comme une saga familiale ou un western paysan, le film porte un regard humain sur l'évolution du monde agricole de ces quarante dernières années.
Depuis sa sortie en septembre, le film fait un tabac partout en France, sauf dans le Paris intra-muros. "Au nom de la terre" est inspiré d'une histoire vraie, celle du père du réalisateur, un exploitant agricole criblé de dettes, pour qui la seule issue aura été de mettre fin à ses jours.
En quelques semaines, le film d'Edouard Bergeon est devenu un véritable phénomène de société, l'emblème du malaise agricole, le porte-voix de ceux qu'on écoute jamais. Les agriculteurs saluent le coup de projecteur qu'offre "Au nom de la terre" à leur travail. Ils applaudissent aussi la mise en scène, très juste selon eux, de leurs difficultés et de cette détresse qui pousse certains à commettre l'irréparable. En Suisse, la situation est-elle comparable?
Bertrand Joye est exploitant agricole à Manens, dans la Broye fribourgeoise. Il est à la tête d'un domaine de 125 hectares et travaille également comme employé des pompes funèbres: "La mort, je la côtoie quotidiennement, et l'impact sur les familles aussi. Le film évoque des problèmes financiers. C'est une des raisons, mais il y a aussi un mal-être général."
Les chiffres le confirment. En France les dernières statistiques parlent d'un suicide par jour dans le monde agricole. En Suisse, la dernière étude universitaire date de l'année dernière. Elle montre que le risque de suicide est bien plus élevé chez les agriculteurs que dans le reste de la société: 37% de plus. Mais le plus inquiétant, c'est que ce taux est reparti à la hausse ces dix dernières années!
Venir à leur secours
Suite à une vague de suicides dans le canton de Vaud en 2015, les autorités ont décidé de réagir. Maria Vonnez est paysanne et aumônier. Elle sillonne les routes pour venir en aide aux agriculteurs en détresse. Elles sont deux à faire ce travail.
Récemment des structures ont été développées, notamment dans le canton de Fribourg. Et sur le plan national, L'Union suisse des paysannes et des femmes rurales a mis en place une antenne de soutien. Sa centrale reçoit en moyenne un appel par semaine et enregistre 1'200 clics par mois sur sa plateforme.
Avant, on allait couler le lait à la laiterie. Aujourd'hui, c'est le camion qui vient à la ferme. L'agriculteur peut passer des journées entières sans voir quelqu'un.
Et c'est bien la force de "Au nom de la terre" de sortir les paysans de leur isolement, de valoriser leur activité et de projeter leur quotidien sur grand écran. Le film offre enfin une visibilité à tous ces hommes et ces femmes qui travaillent la terre et se sentent oubliés par les médias et la population.
Sophie Iselin/mcm