Modifié

"Gloria Mundi" dénonce l'ubérisation d'un monde prêt à s'autodétruire

Ariane Ascaride dans "Gloria Mundi" de Robert Guédiguian. [Agora Films]
L'invitée: Ariane Ascaride, "Gloria Mundi" / Vertigo / 42 min. / le 29 novembre 2019
C'est le film le plus noir de Robert Guédiguian. Même Marseille, sa ville de coeur, est devenue froide et cynique. Entre tragédie grecque et mélodrame à la Zola, "Gloria Mundi" est le film d'un homme très en colère.

Au départ, cela devait être une comédie inspirée du tableau de Watteau "L'Embarquement pour Cythère", peinture représentant une fête de galante. Et puis Robert Guédiguian, révolté par le discours d'Emmanuel Macron sur les "premiers de cordée", a changé de cap en un soir. Avec son scénariste Serge Valletti, il a concocté "Gloria Mundi", constat désespéré sur une société obsédée par l'argent, la consommation rapide et l'individualisme forcené. Un film noir, entre tragédie grecque et mélodrame du 19e siècle, où le pire est presque toujours sûr.

Toute la famille réunie autour de la nouvelle venue, Gloria. [Copyright Ex Nihilo]
Toute la famille réunie autour de la nouvelle venue, Gloria. [Copyright Ex Nihilo]

A chacun sa charge

"Gloria Mundi" s'ouvre par une naissance, moment de joie contrebalancé par le Requiem de Verdi, comme si la petite fille était déjà condamnée par le monde tel qu'il est devenu.

Autour de l'enfant sont réunis les grands-parents, Sylvie (Ariane Ascaride), qui fait des ménages sur les paquebots de luxe et dans les hôpitaux, de préférence la nuit parce que c'est mieux payé, et son mari Richard (Jean-Pierre Darroussin), chauffeur de bus qui travaille de jour. Le couple se croise quelques minutes le matin. Il y a aussi Mathilda, la mère de Gloria (Anaïs Demoustier), éternelle vendeuse intérimaire qui ne peut plus payer la crèche, et son mari Nicolas (Robinson Stévenin) qui vient de s'acheter une voiture à crédit pour faire le chauffeur Uber. Son rêve de devenir son propre patron sera vite fracassé.

Lola Naymark et Grégoire Leprince-Ringuet incarnent le couple qui a "réussi", accro au fric, au sexe et à la coke. [Copyright Ex Nihilo]
Lola Naymark et Grégoire Leprince-Ringuet incarnent le couple qui a "réussi". [Copyright Ex Nihilo]

La farce au coeur du mélodrame

A ce noyau, il faut ajouter la demi-soeur de Mathilda (Lola Naymark) et son compagnon (Grégoire Leprince-Ringuet). Le couple, accro au sexe, à la coke et au fric, ne veut pas d'enfant "parce qu'il veut réussir". Par son comportement outrancier, son cynisme, sa cruauté envers les plus faibles, le tandem fait basculer parfois ces "Misérables" phocéens du côté de la farce grotesque.

Toute cette famille s'écroule à cause de problèmes d'argent, et de son corollaire, le manque de solidarité. Quand vous devez survivre, vous ne pensez pas à autre chose. Vous n'avez même pas le temps de transmettre vos valeurs.

Ariane Ascaride, comédienne et compagne de Robert Guédiguian

Dans "Gloria Mundi", on dit le prix des choses, celui d'une chambre d'hôtel ou d'un ticket de bus, d'un réveil matin ou d'un gramme de coke: l'argent est partout parce qu'il manque partout.

La colère et son revers

Comme très souvent chez Guédiguian, "Gloria Mundi" se déroule à Marseille. Mais pas le Marseille de l'Estaque ou du vieux Port, celui de l'Euroméditerranée, le nouveau quartier des affaires dominé par la tour CMA, conçue par l'architecte Zaha Hadid dans le style déconstructiviste. Même le soleil a changé de camp. En peintre inspiré, Guédiguian excelle à faire de sa ville natale l'écrin de ses humeurs. Son Marseille 2019 est froid, anonyme, mortifère à l'image de ce nouveau monde qu'il vomit.

"Gloria Mundi", c'est le film d'un homme en colère. Il en a la puissance, le lyrisme et la flamboyance, mais aussi les défauts. Guédiguian veut tout dire, tout montrer, tout dénoncer, souvent au détriment de ses personnages qu'on peine à aimer - mais peut-être est-ce précisément la conséquence d'une société déshumanisée.

>>  A voir, la bande annonce du film:

Et un ange surgit

Pourtant, dans toute cette noirceur, surgit un ange, Daniel (Gérard Meylan), qui sort de prison après avoir purgé une peine de 25 ans. Il est le père de Mathilda et l'ex-mari de Sylvie. Il ne demande rien, écrit des haïkus, transforme une simple baignade en épiphanie et observe sans juger. Il n'a rien vu de la transformation du monde, et comme sa petite fille, n'a pas encore été corrompu par lui.

Gérard Meylan joue Daniel, sorte de Jean Valjean contemporain. [Copyright Ex Nihilo]
Gérard Meylan joue Daniel, sorte de Jean Valjean contemporain. [Copyright Ex Nihilo]

Quand Daniel est à l'écran, la lumière du sud revient, et avec elle la fraternité - magnifiques scènes entre Gérard Meylan et Darroussin autour de l'enfant - la solidarité et la beauté. Guédiguian confie à ce personnage, sorte de Jean Valjean marmoréen, ainsi qu'à la petite Gloria, la possibilité d'une transmission intergénérationnelle et, à travers elle, la grâce ainsi que l'espoir d'un monde qui n'aurait pas encore renoncé à son humanité.

Marie-Claude Martin

Publié Modifié