"It Must Be Heaven": pour savourer une vraie comédie politique
Avec son dernier long-métrage, quasi muet, le réalisateur palestinien Elia Suleiman signe l'un des plus beaux appels à la résistance et à la liberté de pensée. Cette chronique burlesque sur le thème de l'exil, qui fait un peu penser à du Tati, a reçu le Prix Spécial du Jury à Cannes.
Le titre du film, "It Must Be Heaven", fait référence à la recherche du paradis sur terre et d'une terre d'asile idéale qui bien sûr n'existe pas, pas plus à New York qu'à Paris, où vit actuellement le cinéaste. La scène d'ouverture est magistrale tandis que le reste est d'une subtilité aussi tendre qu'acidulée.
Lire l'interview de Elia Seleiman: "It Must Be Heaven", un film drôlement désespéré et désespérément drôle
"The invisible life of Euridice Gusmao": pour déguster un splendide mélodrame féministe
Rio de Janeiro, 1950. Euridice, 18 ans, et Guida, 20 ans, sont deux soeurs inséparables. Elles vivent chez leurs parents et rêvent, l'une d'une carrière de pianiste, l'autre du grand amour. A cause du mensonge de leur père, pétri de principes, ces deux femmes éprises d'émancipation vont être séparées. Pendant des années, Euridice et Guida habiteront la même ville mais sans le savoir.
Prix de la section Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes, "La vie invisible d'Euridice Gusmao", du brésilien Karim Aïnouz, s'étend sur 50 ans et alterne périodes sombres et joyeuses, violentes et mélancoliques. Cette histoire de rendez-vous manqués se pare de la splendeur du mélodrame hollywoodien pour mieux dénoncer les méfaits d'une société patriarcale et machiste. Une fresque intime et ambitieuse qui dit le lien indestructible entre soeurs, incarnées par deux comédiennes charismatiques. On pleure de bonheur.
"Gloria Mundi": pour mesurer les effets de l'ubérisation
A Marseille, une petite fille naît. Elle s'appelle Gloria. Le même jour, à Rennes, son grand-père sort de prison après une très longue peine. Il s'attend à des retrouvailles heureuses, il découvre une famille recomposée et décomposée, qui vit dans la précarité et le stress. Robert Guédiguian retrouve sa troupe d'acteurs et sa ville natale, Marseille, sauf que la cité phocéenne n'a plus rien à voir avec l'utopie heureuse de "Marius et Jeannette".
Le cinéaste décrit une société mortifère qui a perdu le sens de la lutte et de la solidarité et même l'espoir de sortir du trou; une société du chacun pour soi, cynique et cruelle. Entre mélodrame et tragédie, et malgré une vision un peu trop caricaturale, son 17e film est sobre, lucide, puissant, lyrique. Ariane Ascaride a reçu le prix d'interprétation féminine à la dernière Mostra de Venise.
>> A lire notre critique : "Gloria Mundi" dénonce l'ubérisation d'un monde prêt à s'autodétruire
"Brooklyn Affairs": pour apprécier un authentique film noir et jazzy
New York dans les années 1950. Lionel Essrog, détective privé souffrant du syndrome de la Tourette - un trouble neurologique caractérisé par des tics vocaux - enquête sur le meurtre de son mentor, Frank Minna. Grâce aux rares indices en sa possession et à son esprit obsessionnel, il découvre des secrets dont la révélation pourrait avoir des conséquences sur la ville de New York.
Pour son deuxième passage derrière la caméra, le comédien Edward Norton réussit un bel hommage au film noir américain des années 40 même si le scénario est un peu labyrinthique. Le casting impressionnant (Bruce Willis, William Defoe, Alec Baldwin et Edward Norton), la beauté de l'éclairage, la minutie de la reconstitution et la sublime bande-son jazz font de "Brooklyn Affairs" un film tout-à-fait recommandable.
"Et puis nous danserons": pour lutter contre les préjugés
Merab s'entraîne depuis son plus jeune âge dans le cadre de l'Ensemble National Géorgien avec sa partenaire de danse, Mary. Son monde est brusquement bouleversé lorsque le charismatique Irakli arrive et devient son plus fort rival et son plus grand désir.
Depuis longtemps passionné par les questions de classe et de genre, le réalisateur suédois d'origine géorgienne, Levan Akin, s'est décidé à traiter de ce sujet après avoir été choqué par la violence des agressions homophobes lors de la parade LGBT, en 2015, à Tbilissi. Bien documenté sur la danse traditionnelle géorgienne, le film émeut par la beauté des chorégraphies. Tourné à la sauvette, dans des lieux officiellement interdits, le film mêle acteurs professionnels et amateurs pour mieux l'ancrer dans la réalité.
>> A lire, l'article sur la genèse de ce film : Danser, aimer et courir vite contre l'homophobie en Géorgie
"Je ne te voyais pas": pour comprendre la justice restaurative
Seriez-vous prêt à pardonner à votre agresseur? A l'inverse, vous avez blessé quelqu'un, parfois à vie, seriez-vous prêt à reconnaître les dommages que vous avez occasionnés? Ce procédé s'appelle la justice restaurative. Elle vise la restauration de la victime, la responsabilisation de l'auteur et la prévention de la récidive. C'est cette médiation par le dialogue qui est au coeur du documentaire "Je ne te voyais pas" du cinéaste neuchâtelois, juriste de formation. Le film manque un peu de corps mais le sujet est idéal pour une conversation entre amis.
"A couteaux tirés": pour faire marcher ses petites cellules grises
Un célèbre auteur de polars est retrouvé mort dans sa grande propriété, le jour de ses 85 ans. Un détective privé, Benoît Blanc est engagé par un commanditaire anonyme pour faire la lumière sur cette affaire.
Signé Rian Johnson, réalisateur de "Star Wars - Les Derniers Jedi", "A couteaux tirés" n'est pas le chef-d'oeuvre de l'année mais c'est un divertissement pimpant, retors, rigolo et même assez subversif dans ce qu'il raconte. Cette comédie policière qui emprunte à l'esprit Cluedo se paie en plus le luxe d'un casting absolument délicieux: Daniel Craig, Jamie Lee Curtis, Don Johnson, Chris Evans, Christopher Plumer ou Toni Collette.
"Proxima": pour avoir les pieds dans les étoiles (et la tête au sol)
Sarah, une astronaute française, est confrontée à une double séparation: quitter la terre pour une mission d'un an et laisser sa fille de 8 ans au sol.
>> Lire l'entretien avec la réalisatrice : "Proxima", d'Alice Winocour, l'épopée galactique clouée au sol
Film féministe, "Proxima" est très loin du traditionnel film d'astronautes, attaché à montrer l'exploit, la conquête et la confrontation avec d'éventuels ennemis. Alice Winocour, elle, s'intéresse aux coulisses de l'aventure spatiale: les entraînements, la cohabitation pacifique entre plusieurs nations, l'apprentissage du sevrage, la solitude et la métamorphose des corps soumis à de nombreuses tortures pour s'adapter aux conditions de l'espace.
"Chanson douce": pour bien choisir sa nounou
Un couple engage une nounou pour s'occuper de leurs deux enfants. Dévouée, consciencieuse, polyvalente, Louise finit par occuper une place centrale au coeur de cette famille. Les enfants l'adorent, les parents commencent à en être jaloux et à se méfier de cette nounou trop parfaite.
Adapté du roman de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, "Chanson douce" est à la fois un film d'angoisse et un drame psychologique. La réalisatrice Lucie Borleteau a l'intelligence de contrebalancer l'horreur du récit par des couleurs vives et une caméra très caressante. Karin Viard se révèle formidablement inquiétante.
"Le Regard de Charles": pour aimer encore plus Aznavour
En 1948, Edith Piaf offre à Charles Aznavour sa première caméra. Jusqu'en 1982, le chanteur va filmer de manière régulière son environnement sur pellicule avant de passer au numérique. Aznavour filme sa vie comme d'autres tiennent un journal. Il enregistre tout: les lieux qu'il traverse, les inconnus qu'il rencontre, ses amours, ses enfants, ses amis, ses emmerdes. Marc di Domenico et Mischa Aznavour, le fils de l'artiste, ont décidé d'utiliser ces archives pour en faire un film, "Le regard de Charles", le plus original des biopics.
>> A lire, notre article : Charles a filmé Aznavour, ses amours, ses amis et même ses emmerdes
"Les Misérables": pour lire Victor Hugo autrement
Il fera partie à coup sûr du top ten 2019. "Les Misérables" est à la fois un coup de poing dans ce qu'il révèle de la réalité des banlieues, un coup de foudre pour les spectateurs (le film a déjà reçu de nombreux prix) et un coup de maître de la part du jeune cinéaste Ladj Ly, qui en appelle à Victor Hugo pour cette lecture contemporaine des "Misérables".
>> A lire, la critique de Rafael Wolf : "Les Misérables", film coup de poing, coup de coeur et coup de maître
Prix du jury au dernier Festival de Cannes, "Les Misérables" vient d'être sélectionné pour représenter la France aux Oscars. Long métrage en immersion dans la banlieue où a grandi - et vit toujours - Ladj Ly, le film interpelle la classe politique, jusqu'au sommet de l'Etat. Un film d'une justesse inouïe.
"Joker": pour ne pas rater un des meilleurs films de 2019
Brûlot contre les médias, les élites politiques et une société qui aura perverti le rêve américain en cauchemar macabre, le film de Todd Philipps est un portrait frontal et perturbant de notre époque. C'est aussi un bel objet de réflexion: qu'est-ce qui déclenche la violence? Comment y répondre? Avec un Joaquin Phoenix proprement hallucinant. Un film qui s'inscrit durablement dans la mémoire.
>> A lire, la critique de Rafael Wolf : Joaquin Phoenix invente un Joker martyr et c'est un choc
RTSCulture/mcm
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