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Le combat écologiste et précurseur de Bruno Manser au coeur d'un film suisse

Une scène du film "Bruno Manser - Die Stimme des Regenwaldes" de Niklaus Hilber. [A Film Compagny - DR]
L’invité du 12h30 - Baptiste Laville, responsable de projet au ‘’Bruno Manser Fonds’’ / L'invité du 12h30 / 11 min. / le 16 décembre 2019
Le docu-fiction "Bruno Manser, la voix de la forêt tropicale" met en scène des acteurs choisis parmi la tribu des Penan. Doté d'un budget de six millions de francs, le film est l'une des plus grosses productions suisses des dernières années.

Le parcours militant de Bruno Manser, pionnier dans la lutte contre la déforestation, a tenu en haleine toute la politique internationale dès la fin des années 1980.

Son aventure est au coeur d'une grosse production cinématographique suisse, sortie à la mi-décembre 2019, et met en scène des Penan, dont l'habitat a presque totalement disparu au profit de l'industrie du bois. "Bruno Manser, la voix de la forêt tropicale" de Niklaus Hilber retrace le parcours de Manser dès les années 1980 jusqu'à l’an 2000, année où Bruno Manser disparaît en Malaisie.

Un idéaliste plus qu'un activiste

Bruno Manser est l'activiste le plus connu de son époque. Mais avant d'être un activiste, c'était certainement un idéaliste, explique à la RTS Baptiste Laville, qui lutte pour la préservation des forêts tropicales et pour les droits des peuples de la forêt de Bornéo. "Bruno Manser était en recherche d'authenticité et de vérité, il s'est engagé corps et âme dans ce combat pour la protection des forêts tropicales et pour les droits des peuples autochtones. C'est cet engagement complet et authentique qui lui a conféré autant de respect au niveau international comme au niveau national."

Manser est tellement connu que même Steven Spielberg aurait un temps envisagé de lui consacrer un film. Mais c'est finalement une équipe 100% suisse qui s'empare du sujet et réalise le film qui s'ouvre en 1984, lorsque Bruno Manser décide de quitter la Suisse pour découvrir le mode de vie d’une "tribu autochtone". Il choisit les Penan, un peuple alors totalement méconnu. Manser les trouve en pleine jungle sur l’île de Bornéo, dans l’Etat du Sarawak en Malaisie. Malgré des débuts difficiles, il se fait accepter par les Pénans.

>> Le sujet du 19h30 consacré au film :

Bruno Manser, activiste environnemental. 20 ans après sa mort , un film retrace son combat
Bruno Manser, activiste environnemental. 20 ans après sa mort , un film retrace son combat / 19h30 / 2 min. / le 17 décembre 2019

Tribus contre gouvernement

Il vit plusieurs années avec ce peuple de nomades et de chasseurs, apprend à vivre pieds nus et à chasser à la sarbacane jusqu’au jour où lui et sa tribu découvrent que leur forêt pluviale est menacée par les entreprises de déforestation et par le gouvernement de Malaisie qui en retire des bénéfices. Bruno Manser décide alors de monter des barrages routiers pour empêcher les camions de passer. Mais ni le gouvernement ni les entreprises ne veulent négocier avec ces tribus.

Pour Baptiste Laville, la raison de ce refus est très claire: la ressource forestière, le bois de la forêt tropicale humide, possède une valeur monétaire inestimable. Et le fait de conférer des droits à des communautés locales implique pour le gouvernement de renoncer à des profits juteux et intéressants, notamment pour l'élite locale. Les autochtones représentent un frein à une économie créée en exploitant les ressources naturelles.

Tricoter avec Ruth Dreifuss

Ce combat, dans les années 1980, attire l'attention des médias du monde entier et Bruno Manser devient l’ennemi public numéro un en Malaisie. Sa tête est même mise à prix: 50'000 dollars, mort ou vif. Il doit quitter le pays pour poursuivre son combat depuis la Suisse.

Baptiste Laville se souvient: "Bruno Manser trouvant que les décisions n'avancent pas assez vite, il décide de mener une grève de la faim sur la Place fédérale, devant tout le monde. Par son engagement authentique, il finit par sensibiliser la population ainsi que la conseillère fédérale Ruth Dreifuss, tout juste élue. Cette dernière vient s'installer avec Bruno Manser sur la place et commence à tricoter avec lui des pulls pour réchauffer les conseillers fédéraux à la thématique de la destruction de la forêt tropicale".

Bruno Manser et la conseillère fédérale Ruth Dreifuss tricotent sur la Place fédérale le 16 mars 1993 à Berne. [Keystone - STR]
Bruno Manser et la conseillère fédérale Ruth Dreifuss tricotent sur la Place fédérale le 16 mars 1993 à Berne. [Keystone - STR]

Les problèmes demeurent

Le Conseil fédéral mettra encore plusieurs années pour édicter des règles sur les bois tropicaux. Bruno Manser ne le saura pas parce qu'il disparaît en l’an 2000 lors de son dernier voyage sur l’île de Bornéo.

En 2019, hélas, la situation n'est toujours pas réglée, regrette Baptiste Laville, qui passe lui-même chaque année plusieurs mois auprès des Penan. Les problèmes contre lesquels Bruno Manser se battait sont hélas encore d'actualité. "Actuellement, il ne reste plus beaucoup de surface de forêt primaire", témoigne Nick Kellesau, un membre de la tribu Penan qui s'est déplacé à Zurich pour la promotion du film.

"Cela pose de gros problèmes à notre peuple dont le mode de vie traditionnel est celui des chasseurs cueilleurs et qui n'a plus assez de surface  pour subvenir à ses besoins. L'autre aspect critique de la situation actuelle concerne les droits des Penan. Certains membres de ma famille et de mes amis n'ont toujours pas de carte d'identité, donc aucune existence reconnue par les autorités malaisiennes. Enfin, la problématique des droits fonciers n'a pas évolué."

Les territoires des Penan ne sont pas reconnus et ils n'ont aucun droit sur leurs terres ancestrales. Les ressources actuelles s'amoindrissent, les droits ne sont pas garantis et cette situation est source de tensions et de conflits à l'intérieur de la population.

Nick Kellesau, membre de la tribu Penan

Le constat n'est donc pas des plus positifs, même si le Fonds Bruno Manser poursuit le travail initié par l'activiste, soit une cartographie de la forêt tropicale qui indique quelle tribu vit dans quel endroit. Ces cartes permettent d'asseoir la crédibilité des Penan et leur offre une base de négociation solide. Un travail par ailleurs remarqué et couronné récemment par le prestigieux prix "Carto 2019".

>> A lire : Les cartes de la forêt de Bornéo réalisées par le Fonds Bruno Manser primées

Propos recueillis par Nadine Haltiner

Adaptation web: mh

"Bruno Manser, la voix de la forêt tropicale" sort ce mercredi 18 décembre dans les salles romandes.

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