"Marriage Story", un film poignant sur la mort de la passion amoureuse

Scarlett Johansson, Azhy Robertson et Adam Driver dans "Marriage Story" de Noah Baumbach. [Netflix]
La chronique culturelle - "Marriage Story" de Noah Baumbach / La Matinale / 3 min. / le 20 décembre 2019
Le réalisateur Noah Baumbach signe l'un des films puissants de cette fin d’année. Son long-métrage "Marriage Story", produit par Netflix, totalise déjà six nominations aux Golden Globes, dont celle du meilleur film dramatique.

Parmi les autres films favoris aux Golden Globes, qui se tiendront le 5 janvier 2020, figurent "The Irishman", thriller historique politico-mafieux de Martin Scorsese et "Les Deux Papes" de Fernando Meirelles, tous deux produits par Netflix. Tout un symbole, lorsque l'on se souvient combien la plateforme était haïe par l’industrie du cinéma il y a un an encore. Parce qu’elle encourage le streaming, mais aussi parce qu’elle crée une inflation des coûts de production.

En 2019, Netflix a investi 15 milliards de dollars dans les contenus originaux, bien plus que les grands studios de production. Mais le film qui caracole en tête des pronostics, "Marriage Story", n’a lui coûté que 18 millions de dollars, une broutille à côté des 150 millions de "The Irishman". Et "Marriage Story" mériterait en tout cas d’en rapporter le double tant il est beau!

Les charmes de l'autre

"Ce que j’aime chez Nicole, c’est…",  "Ce que j’aime chez Charlie, c'est…": le film commence par la liste que chacun dresse des charmes de l’autre, ces habitudes ou traits de caractère qui n’ont rien d’extraordinaire, qui peuvent même agacer pour certains, mais dont le partenaire au long cours sait cerner la préciosité. Cette énumération aurait pu être une déclaration d’amour si elle n’avait été exigée par un médiateur pour couples en rupture. Oui, Charlie, directeur d’une troupe de théâtre new-yorkaise en pleine ascension et Nicole, sa comédienne préférée, tous deux parents de Henry, se séparent. Pourquoi? Parce que c’est la vie ou plutôt la mort qui s’est infiltrée silencieusement entre eux. La mort de la passion, c’est rien, c’est tout.

Dès cette première scène de l’énumération, on comprend qu’on a affaire à deux personnes sensibles et intelligentes, qui ont tout pour réussir leur divorce. Mais Nicole veut s’installer à l’autre bout des Etats-Unis. Des avocats très doués s’en mêlent et le calcul prend le relais des arrangements entre deux portes. Maladresse, incompréhension, larmes, insultes monstrueuses: la séparation, nous dit le réalisateur Noah Baumbach, est une série d’épreuves à traverser. Jusqu'à l’indifférence, à peine voilée par une tendresse inextinguible. On pense à Ingmar Bergman, à Woody Allen aussi, dans cette façon de sonder les êtres et leurs nœuds de sentiments.

Un film d'une grande sincérité

Le divorce constitue le sujet de prédilection du réalisateur, mais il ne l'avait jamais étudié si finement. Noah Baumbach s’est inspiré de son propre divorce et il a enquêté auprès de ses amis en rupture. Il en résulte une grande sincérité, impressionnante de justesse. Comment rester équitable face à une telle guerre affective? On sent qu'il s'agit là de LA préoccupation de Baumbach, même si Charlie et son narcissisme gonflé en prend plus pour son grade. Nicole, elle, a accepté de se sacrifier jusqu’à ce point de non-retour. "Marriage story", c’est aussi l’histoire d’une femme qu’une séparation ramène à la vie. Elle gagne en assurance, il perd en certitude. Et émeut. Bouleversant Adam Driver, face à Scarlett Johansson prodigieuse.

Un divorce, c'est un brouillard épais d’émois dans lequel on ne cerne plus les faits. Avec ce film d’une écriture impeccable, Baumbach souffle sur ce brouillard pour nous montrer tout ce qui se joue. C’est banal, et c'est poignant. Drôle aussi, souvent. En un mot: c’est beau!

Anne-Laure Gannac/mh

Publié