Le titre de la série juxtapose deux villes aux caractéristiques bien particulières. D’un côté Babylone, dont le mythe porte en lui l’image de la décadence et qui prêta son nom à la "grande prostituée" de l’Apocalypse de Jean. De l’autre Berlin, comme une Babylone moderne, secouée entre deux guerres par les révolutions alentour.
Pour une fois, une fiction allemande, la plus chère production télévisuelle de ce pays, ne s’intéresse pas directement à la Deuxième Guerre mondiale. Elle s'ancre dix ans plus tôt, dans une période qui voit s’achever la République de Weimar, née à la fin de la Première Guerre mondiale pour être effacée en 1933 et laisser la place au Troisième Reich.
Un commissaire espion et une assistante de police prostituée
"Babylon Berlin" raconte le destin du commissaire Gereon Rath, muté de Cologne à Berlin dans la police des mœurs. Ses collègues s’interrogent sur les motivations d’un tel transfert. Gereon Rath est en réalité chargé d’une mission secrète: retrouver un film tourné à Berlin et qui dévoile les maniaqueries sexuelles d’une huile politique de Cologne.
L’autre personnage principal est une femme, Charlotte "Lotte" Ritter. Agée de vingt-trois ans, elle vit avec toute sa famille, du grand-père aux frères et sœurs avec leur marmaille, dans un minuscule taudis de Wedding, à l’époque "Rot Wedding", le quartier populaire et communiste de Berlin.
Lotte survit grâce à des petits emplois "à l’appel" dans la police berlinoise, jusqu’à ce qu'elle se voie confier un mandat de plus longue durée consistant à cataloguer les photographies des scènes de meurtre pour la police criminelle. Comme ça ne suffit pas pour nourrir toute la famille, elle se prostitue occasionnellement dans le cabaret à la mode, le Moka Efti. Cependant, cela n’empêche pas Lotte de nourrir une ambition claire: devenir la première femme détective de la police berlinoise.
Vers la déchéance et la guerre
"Babylon Berlin" déroule une intrigue policière extrêmement bien ficelée qui mêle savamment ingrédients politiques et sociaux. Cette recette constitue l’immense intérêt de la série. Le spectateur assiste ainsi à la déchéance d’une société qui plonge dans la décadence, tant de ses mœurs que de ses valeurs. Une société déchirée par une profonde fracture sociale, les pauvres étant très pauvres, les riches très riches avec, au milieu, une classe moyenne de plus en plus réduite qui survit de magouilles, de corruption et de délation. Tout le monde surveille tout le monde.
Dans ce terreau sociétal, le nazi prospère, largement aidé par la fortune de gros industriels. L’héritier de la famille Nyssen, Albert, est criant de vérité. Il a pour modèle dans l’Histoire Fritz Thyssen, qui soutint Hitler dès 1932. Tous les mécanismes sont là, qu’ils concernent toute la société ou des individus isolés dans leur relation au monde, pour nous éclairer sur le chemin qui va conduire l’Europe vers l’épisode le plus sombre, le plus sanglant et le plus barbare du XXe siècle.
De Babylone à Berlin, de 1929 à nos jours
Et ce n’est pas tout! Comme l’avancent les créateurs de la série, les similitudes entre cette période et la nôtre sont troublantes. Même si l’Histoire ne se répète pas — trop de paramètres sont différents —, elle a de gros et nauséabonds hoquets: la désinformation systématique pratiquée par le pouvoir, les vétérans de l’armée qui se retrouvent au ban de la société et la fracture sociale, encore plus profonde aujourd’hui où 1 % de la population détient 99 % des richesses.
Notons encore la filiation artistique de "Babylon Berlin" avec Rainer Werner Fassbinder, particulièrement son adaptation en série télévisée du roman d’Alfred Döblin "Berlin Alexanderplatz", et les références bienvenues au "Cabaret" de Bob Fosse tiré du récit de Christopher Isherwood "Adieu à Berlin".
Pascal Bernheim/sb
"Babylon Berlin", saison 1 inédite, diffusée en bicanal à partir du 5 janvier 2020 sur RTS Un, à revoir en version originale sous-titrée et en version française durant 5 semaines sur Play RTS (avec logo rouge).