C'est un film étrange, comme suspendu, un peu décousu, qui s'esquive souvent, joliment calme, parsemé de petites surprises, une sorte d'école buissonnière qui a beaucoup de charme. En tout cas, infiniment supérieur à sa bande-annonce qui ne lui rend pas hommage.
Alexandre mène une vie tranquille au Pays basque entre ses deux grands fils qu'il a perdus de vue, son ex-femme et son restaurant hérité de son père. Tout va bien mais rien ne le fait vibrer sinon Soo, une Coréenne francophone (Doona Bae, star au Pays du Matin calme) avec laquelle il correspond via Instagram. Sur un coup de tête qu'il prend pour un coup de foudre, il décide de la rejoindre à Séoul, et le lui annonce alors qu'il est déjà dans l'avion. Sera-t-elle au rendez-vous?
Il y a deux malentendus autour de "#JeSuisLà". Le premier concerne le genre. Contrairement à ce qu'on peut lire un peu partout, il ne s'agit pas d'une comédie romantique puisque le film s'amuse à en déjouer les codes un à un. Ou alors il faudrait dire, comme le suggère le réalisateur Eric Lartigau ("La Famille Bélier"), qu'il s'agit d'une "comédie romantique solitaire".
"#JeSuisLà" n'est pas non plus une dénonciation des réseaux sociaux. Si le film en explore les potentiels et ses conséquences, heureuses ou malheureuses, il le fait sur un mode badin. Certaines scènes ne sont d'ailleurs possibles qu'à cause ou grâce aux réseaux sociaux, à l'image de la soudaine popularité d'Alexandre qui devient en moins d'une semaine le #FrenchLover de Séoul. Lartigau n'oppose pas l'espace physique à l'espace numérique, il s'intéresse à leur cohabitation.
De l'illusion naît une réalité imprévue
Plutôt inclassable dans le paysage des films français, "#JeSuisLà" est un film sur l'attente. Dans la première partie, Alexandre attend quelque chose, il ne sait pas très bien quoi, un truc qui le sortirait de sa léthargie et de son indifférence au monde.
Dans la seconde, il attend quelqu'un. Cela devient précis et accapare toute son attention. Il est dans un état amoureux. Dans cet aéroport qui ressemble à Disneyland, le monde s'illumine; il trouve de l'intérêt à chaque rencontre, accepte tout ce qui lui arrive sans se poser trop de questions et surmonte même l'échec avec philosophie. Parti chimère en tête, Alexandre se voit confronté tout en douceur à des réalités aussi concrètes que modestes. Au fil de son attente, celui qui était parti creux comme un cartoon s'incarne de plus en plus.
L'art coréen du nunchi
S'il a échoué au test du nunchi que lui apprend Soo, cet art de l'intuition et de l'écoute qui consiste à deviner ce que l'autre éprouve et ressent sans devoir le formuler, Alexandre a gagné autre chose: cette fameuse présence, au monde et à lui-même, qui lui manquait tant. Il n'attend plus, il est là, et sans hashtag cette fois-ci.
Mais le film ne serait pas aussi charmant sans Alain Chabat qui offre à son personnage une dimension à la fois lunaire et pragmatique. Son aptitude à n'être ébranlé par rien, sa curiosité bienveillante, sa candeur enfantine, sa dégaine un peu pataude, ses embardées de funambule rendent "#JeSuislà" très attachant.
Marie-Claude Martin