Publié

"Un divan à Tunis" et une diva dans l'objectif

Golshifteh Farahani, solaire dans "Un Divan à Tunis". [Diaphana Distribution]
Cinéma: Manele Labidi allonge la Tunisie sur un divan / Vertigo / 7 min. / le 11 février 2020
La réalisatrice Manele Labidi fait de la comédienne Golshifteh Farahani une psychanalyste dépassée par l'administration. Une comédie loufoque et allègre qui livre un autre point de vue sur la société tunisienne.

Freud est-il compatible avec l'Islam? Oui, répond la réalisatrice Manele Labidi dans "Un divan à Tunis" mais à condition d'opérer des aménagements (consulter dans un camion ou dans la rue) de lever quelques malentendus (une séance tarifée n'est pas synonyme de prostitution) et de le faire avec humour.

Pour la cinéaste franco-tunisienne, faire de son héroïne une psychanalyste, c'était surtout le moyen d'écouter une société en pleine ébullition après la chute de la dictature de Ben Ali. "Après la Révolution, la parole politique s'est libérée mais la Révolution ne sera vraiment accomplie que lorsque la parole intime le sera aussi" explique-t-elle au micro de la RTS.

Freud en fez

Le film s'ouvre sur un portrait de Sigmund Freud, un fez sur la tête. Ce portrait fait partie des bagages de la jeune psychanalyste Selma (Golshifteh Farahani) qui, après avoir grandi à Paris, vient s'installer dans son pays d'origine. Certains déménageurs s'inquiètent de ce Barbu qui ressemble à un Frère musulman. Elle les rassure en disant qu'il est Juif. Le ton est donné: "Un divan à Tunis" est bien une comédie, loufoque, rythmée, allègre.

A cheval entre deux cultures

Fumant cigarette sur cigarette, les cheveux en liberté, célibataire et ne voulant pas d'enfant, Selma est en soi une curiosité dans un pays qui fait sa mue. Et si les habitants de cette banlieue de Tunis sont plutôt disposés à s'allonger - même si parler de leurs problèmes est un aveu de faiblesse -, Selma, elle, sera confrontée aux méandres d'une administration qui lui refuse son droit d'exercer. Entre les préjugés des uns et les méprises des autres, elle va devoir trouver sa bonne place, comme thérapeute mais aussi comme fille d'immigrés, à cheval entre deux cultures.

Le sosie de Woody Allen et Freud en personne

Dans son périple administratif, la thérapeute peut compter sur quelques-uns de ses patients, une coiffeuse qui estime être sa collègue parce que, elle aussi, passe ses journées à écouter ses clientes; un boulanger qui s'étonne de voir surgir Poutine dans ses rêves érotiques; un alcoolique qui cache son addiction dans des bouteilles de soda; un imam suicidaire, sosie de Woody Allen, et Freud lui-même dans une séance improvisée et surréaliste. On rit avec eux, jamais d'eux.

Le bon casting

Soucieuse de légèreté, Manele Labidi n'évoque pas frontalement les questions du voile, du terrorisme ou de la religion, sinon par la bande et de manière espiègle. "Je voulais raconter des personnes dans la banalité de leur quotidien pour que leurs problèmes soient universels. J'ai évité les archétypes de la femme victime et de l'homme oppresseur qui reviennent toujours quand il s'agit de parler de l'Islam. En agissant ainsi, j'ai l'impression d'avoir fait un vrai film politique", explique la réalisatrice.

Pour incarner la psychanalyste, qui est en quelque sorte le double de la réalisatrice, il fallait une comédienne charismatique dans le silence et l'écoute. Golshifteh Farahani, à la fois cool et souveraine, désinvolte et mélancolique, emporte cette partition avec grâce.

Propos recueillis par Rafaël Wolf

Adaptation web: Marie-Claude Martin

Publié