De son vivant, Louis de Funès n'a cessé d'être conspué par l'intelligentsia qui ne jurait que par la Nouvelle Vague et la défense des auteurs. Pendant ce temps, le drôle de petit bonhomme tournait "Pouic Pouic" et la série des "Gendarmes", appelait à voter Giscard d'Estaing et ne cachait pas son catholicisme fervent.
L'acteur, issu d'une famille ruinée de la noblesse castillane, avait tout faux aux yeux de la critique post-68. Il triomphait au box-office - quelque 314 millions d’entrées en salle rien qu’en France - et ne voulait rien d'autre que faire rire. Un rôle dramatique comme souvent en rêve les comiques en mal de reconnaissance? Il n'en a jamais voulu et n'en a jamais tenu sauf, éventuellement, celui de l'épicier dans "La Traversée de Paris" où il affine ce qui deviendra son personnage: lâche avec le puissant, sadique avec le faible. Car, et ce n'est pas le moindre de ses talents, de Funès était adoré du public alors qu'il incarnait le plus souvent des personnages odieux.
Un humour fédérateur
Sa popularité, au sein des familles d'origines et de classes diverses, il la doit aussi à la télévision qui a toujours pu compter sur lui pour faire de l'audience. Audience qui ne s'est jamais démentie. Pendant la période de confinement, presque toutes les chaînes ont rediffusé, avec le même succès, quelques uns de ses plus grands hits. Car il en va de Louis de Funès comme des chansons populaires: on peut le revoir en boucle, il nous ramène à l'enfance et rassure comme un doudou. Avec lui, on se réjouit de ce qu'on connaît déjà.
S'il n'a réalisé qu'un seul film ("L'Avare" d'après Molière), l'acteur fut bien un auteur à part entière, c'est-à-dire l'inventeur d'un burlesque qui n'appartient qu'à lui. De Funès, ancien pianiste de nuit, savait faire de son corps l'instrument de son jeu. Par ailleurs, il combinait plusieurs comiques: comique de gestes, de situation, de langage, de caractère, d'improvisation et de répétition, parfois très proche des gags de dessins animés. "On ne dit pas un film avec de Funès, mais un film de de Funès", précise Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse.
Le sacrifice du comique
Trente-sept ans après sa mort, la Cinémathèque française lui a consacré au printemps 2021 une exposition et une rétrospective. Une chance pour celui qui n'en aura jamais eu avec les institutions, en dépit d'un César d'honneur que lui a remis en 1980 Jerry Lewis.
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Mais qu'est qui a bien pu se passer pour que celui qui fut méprisé de son vivant fasse l'objet d'un tel hommage? Il s'est passé un homme et un texte. L'homme s'appelle Valère Novarina, auteur et comédien, pilier du Festival d'Avignon. En 1985, il publie "Pour Louis de Funès", hommage à un "athlète de la dépense", un acteur absolu, modèle pour tous les autres: "Louis de Funès était au théâtre un acteur doué d’une force extraordinaire, un danseur fulgurant qui semblait aller au-delà de ses forces, excéder la demande et donner au public dix fois plus que les figures attendues, tout en restant parfaitement économe de son effort et toujours prêt à recommencer". Valère Novarina parle du sacrifice comique.
Sophie Gaudin, metteure en scène de "Germain David de Funès de Galarza", variations autour de l'acteur, ne dit rien d'autre quand elle rappelle qu'on devait parfois réanimer le comédien dans les coulisses tant il voulait être aimé en faisant rire.
Plus qu'un acteur, un symbole
Cette intronisation par Valère Novarina marque le début de la réhabilitation auprès de l'intelligentsia de celui qui aura tout de même galéré vingt ans avant de devenir une star. "Il est plus qu'un acteur, un symbole, le symbole du cinéma comique français de 1950 à 1980. A ce titre, il a toute sa place dans une Cinémathèque, un lieu qui évoque la mémoire du cinéma", dit Frédéric Maire.
Mais si les institutions l'ont boudé, les acteurs, et qui plus est les comiques, l'ont toujours tenu en respect. Fan devant l'éternel, Alexandre Astier, créateur et interprète de la série "Kaamelott", évoque le "génie comique" de celui qui l'émeut autant qu'une cantate de Bach. Il rend hommage à son sens du rythme, à sa précision et à sa virtuosité.
Regarder jouer de Funès, c'est dévaler un escalier sur les fesses, aller de surprises en surprises, être pris par quelqu'un de plus rapide que soi.
Même enthousiasme du côté de la troupe du Splendid qui aurait dû tourner "Papy fait de la Résistance" avec lui, si l'acteur n'était pas mort d'une crise cardiaque. Clavier, dans une certaine mesure, reprend quelques-unes de ses caractéristiques, notamment la mauvaise foi, la vitesse et l'énervement chronique.
Même opposé politiquement, Coluche - qui a partagé l'affiche de "L'Aile ou la cuisse" - le tenait en haute estime tout comme Jamel Debbouze qui admire sa capacité à faire rire en famille, toutes générations confondues, "ce qu'il y a de plus difficile pour un auteur". Il a fait revivre son idole dans son film "Pourquoi j'ai pas mangé mon père". Debbouze salue l'élasticité du corps de celui qui aura beaucoup dansé dans ses films et va jusqu'à comparer de Funès à deux autres artistes à l'extraordinaire plasticité, Charlie Chaplin et Michael Jackson.
Marie-Claude Martin
"Louis de Funès, champion du box office", disponible sur RTS Play jusqu'au 12 juillet 2021.
Un article publié une première fois le 6 avril 2020. Mis à jour le 17 juin 2021.