En février dernier, Claire Denis remettait aux côtés de l'actrice et réalisatrice Emmanuelle Bercot le César du meilleur réalisateur à Roman Polanski, en son absence. Un geste qui a été mal interprété.
Le lendemain, Claire Denis s'en expliquait: "Si on ne voulait pas dire ce nom, alors il ne fallait pas venir! Citer Roman Polanski ne m'a pas écorché la bouche. Quand Emmanuelle a donné le résultat, je l'ai regardée et on s'est dit, "voilà c'est arrivé". Emmanuelle et moi devions rendre compte d'un vote, pas d'un verdict".
Cette déclaration vaut aussi pour les personnages de ses films qu'elle ne juge jamais. En 1991, elle avait déjà dû répondre de son "immoralité" avec "J'ai pas sommeil" (1994) inspiré de l'affaire Guy Paulin, tueur de vieilles dames dans le 18e arrondissement de Paris, parce qu'elle ne le condamnait pas. Pourquoi d'ailleurs? Thierry Paulin l'était déjà: arrêté en décembre 1987, il meurt du sida en 1989, avant d'être jugé.
Ce qu'on appelle tabou n'existe que parce que le pire est inhérent à la nature humaine.
Ce qui intéressait la cinéaste, c'était de raconter l'effervescence d'un quartier où les populations se mélangent, la dignité des victimes, l'énigme d'un tueur en série, les rapports de domination qui peuvent s'inverser - un de ses thèmes récurrents. Le fait divers n'était qu'un prétexte pour orchestrer autour du "monstre" un ballet de personnages et de destins.
Même incompréhension avec "Les Salauds", cauchemar de sang et de sexe, et avec "Trouble Every Day", où la passion finit en dévoration cannibale. Il n'y a pourtant jamais chez Claire Denis une volonté de choquer. Ce qui capte son attention, c'est l'angle mort, là où personne ne va regarder, c'est aussi comprendre ce qu'il y a d'humain dans la monstruosité.
Ce qui brouille le message, c'est qu'elle y met de la grâce.