Dès le 11 mai, les lieux de divertissement comme les musées et les bibliothèques pourront à nouveau ouvrir. Selon toute vraisemblance, les cinémas pourraient suivre le 8 juin. Mais quel exploitant le fera? Et avec quelles nouveautés? Si "Tenet" de Christopher Nolan, "Mulan", la version film du dessin animé, et la suite de "Wonder Woman" sont annoncés pour la fin juilllet, beaucoup d'autres grosses productions ont été reportées à l'automne.
Edouard Stöckli, qui exploite des cinémas multiplexes en Suisse avec le groupe Arena, craint que les salles, en tout cas en Suisse romande et au Tessin, n'ouvrent pas avant septembre, autant par manque de films disponibles que parce que les gens se sont habitués à consommer depuis chez eux.
Frank Braun, qui programme du cinéma d'art et d'essai à Zurich et Lucerne, espère une ouverture plus tardive, quand tous les sièges pourront être occupés tandis que René Gerber de Procinema n'exclut pas une réouverture fin juin ou début juillet, en appliquant les principes de distanciation et d'hygiène.
D'autres exploitants sont plus confiants et prêts à accueillir le public dans les règles sanitaires, dès le mercredi 10 juin si le confirme le Conseil fédéral, même si leur programmation a été entièrement chamboulée.
Maintenir des exclusivités
C'est le cas de Didier Zuchuat, exploitant de deux salles genevoises, le Ciné17 et le Cinérama Empire, qui en a profité pour changer les sièges de sa seconde salle: "La reprise sera tranquille, avec des horaires moins tendus que d'habitude pour mieux espacer les séances. Nous ne ferons plus l'horaire 10h-2h du matin...
Il faut néanmoins préserver une forme d'exclusivité pour les salles même si plusieurs grosses productions ont été repoussées à l'automne. Par exemple en programmant des films sortis dans les pays limitrophes mais inédits en Suisse. Une autre idée me titille depuis longtemps: projeter de grands classiques en version restaurée. Programmer "Shining" dans ces conditions, c'est aussi une forme d'exclusivité".
Le retour du public, une inconnue
Mais après des semaines de confinement et de consommation d'images à la maison, les gens auront-ils encore envie de sortir pour s'enfermer? Parce que depuis plus d'un mois, les gens se sont habitués au streaming. Les chiffres le prouvent. Netflix enregistre la plus forte croissance de son histoire avec 16 millions d'abonnés en plus dans le monde pour arriver à un total de 183 millions. Disney+, qui vient d'être lancé, compte déjà 50 millions d'abonnés. Et les portails suisses comme cinefile.ch, filmingo.ch, ou lekino.ch connaissent également une croissance rapide.
Andreas Furler, fondateur et directeur général du portail Cinefile, est plutôt positif. "Nous avons cinq fois plus de visionnements fin avril que pour toute l'année 2019", dit-il. Mais ce boom signifie aussi beaucoup moins de revenus. Car si le prix en ligne varie de quelques francs par rapport à un billet de cinéma, le film peut être visionné par un nombre illimité de personnes.
Abandon du modèle économique
Autre inquiétude, que le succès du streaming soit tel que les maisons de productions décident de casser le modèle économique qui prévalait jusqu'à aujourd'hui. C'est le cas d'Universal qui, fort du succès inattendu de "Troll 2" - qui a rapporté 95 millions de dollars en trois semaines en Amérique du Nord - a décidé que ses studios allaient désormais sortir leurs films "dans les deux formats", à la fois en salles et sur les plateformes de vidéo à la demande, même après la crise sanitaire.
Une décision vécue comme une déclaration de guerre et qui a provoqué la riposte de AMC, la plus importante chaîne de salles de cinéma d'Amérique du Nord avec 8'000 écrans, qui a averti qu'elle "ne projettera plus aucun film Universal dans ses cinémas des Etats-Unis, d'Europe ou du Moyen-Orient", et ce, avec effet immédiat.
La fin de la salle?
Didier Zuchuat, qui fut un des rares à programmer sur ses écrans des productions Netflix comme "Roma" et "The Irishman", ne croit pas aux discours catastrophistes qui planent sur l'industrie du cinéma depuis plus de 40 ans: concurrence de la télévision, puis arrivée de la vidéo, et maintenant attrait du streaming. "Le cinéma aura enterré tous les formats. La projection sur grand écran, avec des gens alentour, reste le meilleur moyen de découvrir un film. Le retour au cinéma finit toujours par venir"
Propos recueillis par Rafael Wolf
Adaptation web: Marie-Claude Martin avec les agences