S'il ne devait rester qu'une seule scène, ce serait celle-ci, au volant de son Alfa Roméo, la cravate dénouée après un déjeuner arrosé, la cigarette aux lèvres. Quelques secondes plus tard, sa voiture sort de la route. Il est éjecté du véhicule. Grièvement blessé, au pied d'un arbre, il a le temps de voir défiler sa vie en accéléré avant de mourir.
Cette scène d'anthologie de "Les Choses de la vie" (1970) - un des plus beaux accidents de voiture de l'histoire du cinéma - marque sa première collaboration avec Claude Sautet, qui lui offrira encore trois autres films. Avec lui, Michel Piccoli affine son image d'homme mûr en pleine crise existentielle, à la fois autoritaire et vulnérable, colérique et sentimental, sécurisant et lâche, ouvrant ainsi la voie aux acteurs de la génération des Depardieu, Auteuil ou Lindon.
Il est peut-être l'acteur qui a été le plus "engueulé" par les femmes dans le cinéma français. Et des partenaires féminines, il en a eu beaucoup, à commencer par Romy Schneider, Catherine Deneuve, Léa Massari, Jane Birkin, Miou-Miou, Isabelle Huppert, Juliette Binoche ou Dominique Sanda.
Farceur, il se plaît à mettre à l'épreuve son image virile dans deux films de Jacques Demy, "Les Demoiselles de Rochefort" où il est Monsieur Dame, un nom ridicule qui l'empêche de vivre son amour, et dans "Une Chambre en Ville", où amoureux transi impuissant, il incarne la passion auto-destructrice.
S'il a beaucoup joué les bourgeois, voire les grands bourgeois, il l'a fait le plus souvent dans des films iconoclastes, avec des réalisateurs qui ont souvent flirté avec le scandale, comme Buñuel ("Journal d'une femme de Chambre"), Marco Ferreri ("La Grande Bouffe"), Francis Girod ("Le trio infernal") ou Godard qui le révèle au grand public en 1963 dans "Le Mépris", où il joue un scénariste veule face à Brigitte Bardot. Michel Piccoli a déjà 38 ans.
>>> A regarder, une autre scène d'anthologie, celle du "Mépris":
C'est l'une des particularités de cet acteur qui aura touché à tous les registres: on ne l'a jamais connu jeune. Il est devenu populaire alors qu'il était déjà dégarni, la stature massive et altière, le sourcil en broussaille et la voix travaillée par la Gitane sans filtre. C'était l'adulte du cinéma français.