Depuis quatorze ans, partout dans le monde, le réalisateur et photographe genevois Simon Edelstein traque les cinémas abandonnés et tente de conserver, avant leur disparition définitive ou leur transformation en grandes surfaces, banques ou salles de jeux, les vestiges de leurs splendeurs.
Fauteuils éventrés, escaliers défoncés, façades fatiguées, portes murées, enseignes borgnes, grabats insalubres, marquises effondrées, écrans déchirés, salles décaties, tout concourt à faire de ce qui fut un espace de vie et de rêves le refuge des fantômes.
Ils s'appelaient Idéal, Eden, Eldorado, Paradiso, ils ne sont plus que ruines. L'arrivée de la télévision, puis de la vidéo à domicile et maintenant du streaming a bouleversé les habitudes de consommation. On continue de voir des films mais on ne se soucie plus des temples où ils ont vu le jour. Le nombre de salles s'est réduit au fil des décennies, accompagné d'une baisse de fréquentation constante.
En explorateur ou parfois en cambrioleur tant l'accès à ces sanctuaires peut se révéler difficile, Simon Edelstein photographie l'insolite, l'absurde, la beauté de ce qui n'est plus, mais aussi la résistance d'un balcon qui tient alors que tout est effondré ou la vaillance d'une rampe d'escalier échappée au désastre. Une mélancolie émane de ces images qui racontent l'histoire d'un grand naufrage, le goût des paradis perdus.
Après avoir publié "Lux, Rex & Corso", 600 photos qui faisaient une sorte d'inventaire des salles de cinémas en Suisse, Simon Edelstein revient avec un autre livre-somme: "Le Crépuscule des cinémas". Le photographe s'est rendu dans plus de trente pays, du Maroc au Portugal, de la France à Cuba, de l'Angleterre à l'Italie en passant par la Thaïlande, pour retrouver le faste perdu des salles de cinéma.
Il met surtout en lumière deux pays-continents: les Etats-Unis et l'Inde, tous deux grand producteurs d'images mais aux destins très différents.
Le premier, via Hollywood, a connu l'âge d'or de sa popularité juste après guerre. On peut même dire que les Etats-Unis ont forgé leur identité avec le cinéma, et sa conquête de l'ouest. Pays de la modernité et du progrès, le septième art était le moteur du soft power américain. Aujourd'hui, les salles disparaissent les unes derrière les autres, ne conservant souvent que leurs néons flamboyants pour rappeler la magnificence de son âge d'or, comme cette sublime enseigne à Portland qui fait la couverture du livre.
L'Inde en revanche a gardé intacte la passion du cinéma et de ses stars. Dans les 14'000 grandes salles de cinéma ou lors des projections en plein air dans les campagnes éloignées, il règne ce même enthousiasme qui fait des spectateurs indiens un public unique au monde. C'est aussi le pays où les disques durs n'ont pas encore entièrement supplanté le 35 mm et où les projectionnistes sont encore aux commandes, attachés à leur vieille machine comme un capitaine à son vaisseau.