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Pour la cinéaste Jacqueline Zünd, le divorce reste un tabou

Portrait de la réalisatrice suisse Jacqueline Zünd. [Fabio Leone]
Jacqueline Zünd: "Le divorce reste un tabou" / Vertigo / 7 min. / le 2 juillet 2020
Dans le très beau "Where We Belong", son troisième long métrage documentaire, la réalisatrice zurichoise Jacqueline Zünd recueille la parole dʹenfants dont les parents sont séparés.

Ni racoleur ni larmoyant. Dans "Where We Belong", son troisième long-métrage documentaire, Jacqueline Zünd met en scène avec une grande délicatesse cinq enfants et adolescents qui racontent comment ils vivent la séparation de leurs parents.

Alyssia et Ilaria, sœurs jumelles, ont apprivoisé les nouveaux partenaires de leurs parents. Carleton et sa grande sœur Sherazade ne sont pas dupes des manipulations paternelles. Quant à Thomas, fils d’agriculteur, sa révolte adolescente transparaît même dans ses silences.

Comme dans chacun de ses films ("Almost There", "Goodbye Nobody"), la cinéaste ne cherche pas à faire un "documentaire d’action", qui viendrait capter le réel à l’état brut. Ses plans sont composés comme des tableaux, la lumière bleue ou orangé embellit visages et décors.

"J’ai voulu les rendre forts et beaux"

Car les images de Jacqueline Zünd traduisent un état intérieur. On en ressent d’autant plus fortement la solitude et les émotions des enfants, qu’ils soient filmés au bowling, en forêt ou sur un manège. "J’ai voulu les rendre forts et beaux. Il ne fallait pas qu’ils apparaissent comme des victimes", raconte la cinéaste.

Les parents, eux, n’apparaissent que de loin ou de dos – mais sont la plupart du temps laissés hors champ. "C’est la perspective des enfants qui m’intéressait. Le divorce reste un tabou, même s’il concerne 40 à 50% des couples". Thomas témoigne d’ailleurs: "A l’école, on se moquait de moi".

Le casting de "Where We Belong" a duré un an. "Les parents étaient très tendus au début, reprend la cinéaste. J’ai dû gagner leur confiance en restant bien à ma place. Il ne fallait surtout pas que je devienne la copine de l’un ou de l’autre parent".

Quant aux enfants, il n’a pas été simple de recueillir leurs confidences. "J’ai demandé conseil à des psychologues et je suis arrivée devant les enfants avec des petites figurines de bois, comme on en utilise parfois dans les cabinets des psys. Cela n’a pas du tout fonctionné, parce que ce n’est pas mon métier. Finalement, j’ai décidé de m’adresser à eux comme je l’aurais fait avec des adultes. Je crois que ça leur a plu, ils se sont sentis respectés".

Première émouvante du film à la Berlinale 2019

Jacqueline Zünd se souvient avec émotion de la première du film à la Berlinale de 2019. Toutes les familles étaient invitées. Les parents ont donc découvert le film dans un cadre très solennel. "Une chance", selon la cinéaste, qui estime que le film a fait évoluer le point de vue des parents.

"Après la projection, lorsque le modérateur a appelé les protagonistes sur scène et leur a demandé comment ça s’était passé pour eux, Alyssia a commencé à pleurer. Elle a dit qu’elle avait peur de ce que ses parents allaient penser d’elle, de ce qu’elle disait dans le film. Le modérateur a fait venir les parents, qui ont pu dire à quel point ils étaient fiers de leurs enfants. Toute la salle pleurait".

"Je crois que cette expérience a rapproché les parents, analyse la cinéaste. Ils avaient ce projet de film en commun. Et ils ont compris qu’ils pouvaient exister tous les deux aux yeux de leurs enfants".

Raphaële Bouchet/olhor

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