Le nouveau film du réalisateur de "Huit femmes" et "Grâce à Dieu" s'ancre dans une cité balnéaire de Normandie. Là, le jeune Alexis, 16 ans, tombe sous le charme de David, 18 ans. Une histoire d'amour qui commence sous des auspices crépusculaires: un couloir sombre, le héros Alexis marche, menotté, comme s'il se rendait à l'échafaud. Sa voix off, qui accompagne tout le film, raconte le cadavre qui l'a amené en prison, ce corps mort qu'il a adoré, passionnément.
Alexis a-t-il tué cet homme qui aura été son premier amant? C'est tout le mystère que la suite du récit, construit sur le mode du flash-back, tentera d'éclaircir.
Le grain et la musique mythique de 1985
A côté de ce couple, une jeune Anglaise introduit la gerbe de la jalousie entre les deux amants. Et il y a aussi la mère de David, interprétée par Valeria Bruni Tedeschi, qui entretient une relation quasi incestueuse avec son fils. Et encore un professeur incarné par Melvil Poupaud, qui tente de comprendre ce qui a bien pu se passer. Il pousse Alexis à écrire ce qu'il a vécu avec David, ou ce qu'il croit avoir vécu.
Le tout a été tourné en pellicule amenant ce grain à l'image, comme si le film avait été tourné à l'époque où il se déroule. S'ajoute à cela une bande-son saturée de chansons mythiques de 1985 comme "In Between Days" de The Cure ou "Sailing" de Rod Stewart.
L’homosexualité entre parenthèses
La question de l'homosexualité n'est pas posée dans le film, ni comme question, ni comme problème. Ce sont juste deux jeunes hommes qui s'aiment intensément, magnifiquement interprétés par deux comédiens encore peu connus: Benjamin Voisin (David) et Félix Lefebvre (Alexis). Le coeur du film est à chercher ailleurs, dans ce temps qui semble infini pour ces adolescents bientôt rattrapés par la mort, la disparition, la tombe. Une tombe sur laquelle il s'agit de danser, parce qu'on a tenu une promesse essentielle, comme pour continuer à tisser le lien avec l'être aimé à la folie.
"Eté 85" est un récit d'apprentissage classique. La chronique d'un amour tragique qui emprunte autant au film noir qu'au mélodrame. Derrière la légèreté estivale, la sensualité des corps et la découverte d'un désir, le film laisse planer le spectre de la mort et d'un deuil douloureux.
Le résultat est beau, envoûtant, maîtrisé - même si François Ozon cède un peu, à la fin de son film, à la tentation de trop expliquer - et dresse le portrait d'une adolescence flottante qu'on a l'impression d'avoir déjà vue beaucoup et parfois mieux traitée sur grand écran. Une réserve qui ne réduit pas l'idée très forte que le film incarne: c'est pas l'écriture, l'autofiction, par l'art en somme, qu'Alexis peut saisir le fantôme d'une vérité, que son existence peut s'accomplir, qu'il peut enfin éclairer qui il est vraiment.
Un film qui flirte avec l’autobiographie
Ce qui frappe aussi dans "Eté 85", c’est la façon dont François Ozon semble se raconter beaucoup plus que dans ses œuvres précédentes. Sans parler de film autobiographique, il est clair que jamais le cinéaste ne s'est jamais autant dévoilé à travers l'un de ses personnages - ici, Alexis. Que ce soit dans ses premiers émois amoureux, comme dans son rapport à l'art et l'importance de l'écriture. Cette proximité totale explique sans doute pourquoi le réalisateur filme ici ses personnages avec une telle empathie alors qu'il avait plutôt l'habitude, dans nombre de ses films, de les observer avec une sorte de distanciation ironique, voire cynique.
François Ozon avait 17 ans en 1985, au moment où il découvrait le roman "La danse du coucou" qu'il adapte dans ce film. A l'époque, il rêvait d'en faire son premier film. "Eté 85" est finalement son 19e long-métrage, comme une oeuvre de débutant tournée par un cinéaste accompli.
Sujet radio: Rafaël Wolf
Adaptation web: ld