Leurs rapports ont été longtemps conflictuels et douloureux mais Catherine Allégret, fille de Simone Signoret, l'affirme aujourd'hui. "Ses cinq dernières années, je les ai vécues collée à elle, au jour le jour, et j'ai pu entièrement restaurer notre relation. Il est capital de bien régler ses comptes avant que les gens disparaissent".
C'est donc elle, Catherine Allégret, fille d'Yves Allégret, premier mari de Simone Signoret, qui fait office de guide dans le documentaire consacré à sa mère et simplement intitulé "Simone Signoret", visible sur RTS Play jusqu'au 19 septembre. Une mère qui, quand elle était enfant, l'impressionnait par sa beauté intimidante, très slave (son vrai nom est Simone Kaminker), notamment dans "Casque d'or" (1951) de Jacques Becker.
"Maman a d'abord refusé le rôle pour être avec Montand, dont elle venait de tomber amoureuse. Mais Becker ne s'est pas démonté. Il lui a simplement dit qu'il prendrait Martine Caroll à sa place. Et là, miracle, elle a changé aussitôt d'avis!" s'amuse sa fille qui rappelle que lorsque sa mère a rencontré Montand, elle a effacé d'un coup de baguette magique tout ce qui existait avant.
Certaines femmes font des dénis de grossesse, ma mère a fait un déni du passé. C'est à peine si je n'étais pas née par immaculée conception!
Devenu un classique du cinéma français, "Casque d'or" (1951) connaît pourtant un bide monumental à sa sortie. Le film choque par son érotisme, notamment la fameuse danse avec Serge Reggiani. Il lui vaudra néanmoins le surnom de casque d'or.
Avec sa haute silhouette, sa chevelure puissante, son regard vert de chat et sa voix grave, Simone Signoret n'a jamais joué les jeunes filles. Dès son premier rôle important, "Macadam" de Jacques Feyder, puis "Dédée d'Anvers" d'Yves Allégret, elle incarne les femmes aguerries, et très souvent des prostituées.
"Casque d'or" n'échappe pas à la règle mais contrairement à "Manèges", par exemple, où elle jouait une garce intégrale qui lui a valu d'être insultée dans la rue, son personnage est surtout tragique.
Deux succès viennent couronner la première partie de sa carrière commencée par de très nombreuses figurations, "Thérèse Raquin" de Carné et "Les Diaboliques" de Clouzot, où elle interprète une institutrice machiavélique et manipulatrice. "Mais cette fois-ci, le public ne m'a pas identifiée au rôle. Il a compris qu'il s'agissait davantage d'une partie d'échecs que d'un fait divers" dira-t-elle plus tard.
Même si elle a tourné quelques chefs-d'oeuvre - dont plusieurs ont pour titre le nom du personnage qu'elle incarne - , même si son influence intellectuelle et politique a marqué l'époque, pour la France, Simone Signoret reste avant tout un physique et une grande amoureuse. Boudée par la Nouvelle Vague, sa consécration viendra des Etats-Unis.
En 1958, parfaitement bilingue, elle tourne "Les Chemins de la haute ville" du Britannique Jack Clayton. Le film sera multi-récompensé et Simone Signoret devient la première Française à recevoir un Oscar de la meilleure actrice. Ombre au tableau toutefois. La liaison de Montand avec Marylin Monroe, en 1960, lui rappelle son âge. "La caméra passe par le physique et ma mère en a été d'abord malheureuse" dit sa fille. A la quarantaine, sa splendeur n'est plus la même.
Un premier fils mort de froid
Entre 1961 et 1968, Signoret alterne films français et étrangers mais sans enrichir sa filmographie. Alors elle fait le pari qu'aucune autre actrice française n'a fait avant elle, ni après d'ailleurs: accepter de vieillir, de s'enlaidir, et même d'accélérer le mouvement, pour avoir des rôles intéressants.
Elle n'avait pas besoin de plaire, elle imposait sa loi.
Elle avait un physique, elle aura une gueule. Elle enchaîne "L'Armée des ombres" de Melville, "Le chat", avec Gabin, où à 49 ans, elle joue une femme de 70 ans, "La Veuve Couderc" et "Les Granges brûlées", deux films avec Alain Delon pour qui elle avait une affection quasi-maternelle.
C'est là que Catherine Allégret livre une information peu connue: durant son mariage avec Yves Allégret, Simone Signoret a eu un premier enfant, un fils mort de froid à l'hôpital en 1944. Ce drame tenu caché expliquerait la tendance de sa mère à se faire "des fils cinématographiques": Delon, mais aussi Alain Corneau et surtout Patrice Chéreau qui lui offre deux beaux rôles, dont celui de "Judith Therpauve" en 1978. "Ce film, qui parle du délitement de la presse, avait plusieurs années d'avance", dit sa fille.
Signoret peaufine sa légende de monstre sacré en publiant, en 1975, le premier tome de son autobiographie, "La nostalgie n'est plus ce qu'elle était", puis le second, "Le lendemain, elle était souriante". La critique est élogieuse. En 1985, année de sa mort, elle signe "Adieu Volodia, son seul roman.
La popularité par la télévision
"La Vie devant soi", de Moshé Mizrahi (1977) marque l'apogée de sa seconde vie au cinéma, avec son personnage de Madame Rosa, ex-prostituée qui élève les enfants d'autres prostituées. Un Oscar du meilleur film étranger et un César de la meilleure actrice viennent remplir son placard à trophées - elle fut peut-être l'actrice au monde la plus récompensée.
Plus pragmatique qu'intellectuelle dans son métier - "Pas besoin de trucs introspectifs pour dire "Passe-moi le seul"! -Simone Signoret comprendra bien avant les autres que le public désormais campe devant sa télévision. Avec la même curiosité, elle sera à l'affiche de plusieurs réalisations TV et l'héroïne d'une série qui la rendra définitivement populaire, "Madame le Juge". Sous la direction de Marcel Bluwall, elle tournera encore le téléfilm, "Music-Hall", mais mourra avant de pouvoir le post-synchroniser. Peut-on rêver plus belle réconciliation: c'est sa fille, Catherine, qui lui prêtera sa voix.
Marie-Claude Martin