Le réalisateur tchèque oscarisé Jiri Menzel, qui avait depuis longtemps de graves problèmes de santé, est décédé à l'âge de 82 ans, a annoncé sa femme Olga Menzelova dimanche. "Notre cher Jiri, ce brave parmi les braves. Ton corps a quitté notre monde trivial dans nos bras la nuit dernière", a-t-elle écrit sur Facebook.
Figure de la "Nouvelle vague tchécoslovaque", ce mouvement emmené par une jeune génération de cinéastes portés par la liberté et la contestation entre 1963 et 1968, Jiri Menzel, né le 23 février 1938, était également acteur, scénariste et metteur en scène de théâtre.
Différentes formes de censure
Comme Milos Forman et Vera Chytilova, il a été formé à l'Ecole supérieure de cinéma de Prague, dont il a été diplômé en 1962 par le grand cinéaste Otakar Vavra, inspirateur de la Nouvelle vague dans son pays. Mais contrairement à d'autres de ses amis de la "Nouvelle vague", il ne s'est jamais exilé.
Au journal québécois Le Devoir, il déclarait en 2013: "Les artistes sensibles peuvent prévoir où leur société s’en va. Sous l’oppression, ils sont capables d’apporter du réconfort et d’encourager les leurs. Malheureusement, les sociétés libres engendrent un tas d’activités plus intéressantes et l’art cesse alors d’être pris au sérieux. Aujourd'hui, nous avons la liberté d’expression, mais d’autres formes de censure sont apparues, comme celle de l’argent."
Adaptation de livres de Bohumil Hrabal
Coup d'éclat en 1967! Avec "Trains étroitement surveillés", une comédie sur fond de Seconde Guerre mondiale, Jiri Menzel remporte l'Oscar du meilleur film étranger. Suivront une quinzaine de longs-métrages, généralement acclamés par la critique.
"Trains étroitement surveillés" raconte l'histoire de Milos qui, tourmenté par sa timidité, n’arrive pas à embrasser la contrôleuse de train qui pourtant s’offre à lui. Désespéré par son échec, il tente de se suicider.
Jiri Menzel met le sexe et la guerre sur le même niveau tandis qu'il fait de la gare le symbole de toutes les aliénations. Le noir et blanc, ainsi que ses plans rapides, rappellent le cinéma muet. Le film est tiré d'un roman de l'écrivain tchécoslovaque Bohumil Hrabal, devenu une source d'inspiration sans limite pour Jiri Menzel. Dans le livre comme dans le film, on défend l'oisiveté, l'obsession sexuelle et le refus de l'héroïsme comme force à opposer à l'occupation allemande.
Un Oscar et un Ours d'or
Dans le sillage du Printemps de Prague, la contestation populaire du communisme écrasée par les chars soviétiques en août 1968, Jiri Menzel tourne "Alouettes, le fil à la patte", adapté du même auteur. Il s'agit d'une évocation douce-amère de la vie de personnes marginalisées par le régime communiste. Interdit en Tchécoslovaquie, le film n'a pu être diffusé en salle qu'après la chute de la dictature communiste, lors de la Révolution de velours en 1989.
Sorti en 1990, il remporte alors l'Ours d'or au Festival de Berlin, ainsi que de nombreux prix dans son pays. "Le film jongle entre dialogues poétiques et sarcastiques, entre désir amoureux et sous-texte politique, menant ses personnages – comme toujours des anti-héros – jusqu’à la tragi-comédie, soignant avec malice les détails de la vie quotidienne. Le ton est iconoclaste mais tendre. Un fantastique loufoque à la Kafka dénonce l’oppression obtuse de toutes les dictatures, et de leur 'rééducation'". Ainsi le présentait le cinéma du Grütli à Genève qui a projeté "Alouettes, le fil à la patte" en juin 2020.
La comédie comme arme
>>> A regarder, la bande-annonce assez déjantée de "Moi qui ai servi le roi d'Angleterre:
Parmi ses autres films basés sur les livres de Bohumil Hrabal figurent "Une blonde émoustillante" (1981), "Les festivités du perce-neige" (1984) et "Mon cher petit village", sorti en 1985, et à nouveau nommé aux Oscars.
Après la fin du communisme, Jiri Menzel a réalisé "L'opéra du gueux" en 1991, d'après un scénario de l'ancien dissident, dramaturge et ex-président tchèque Vaclav Havel.
Il a tourné son dernier film inspiré de Bohumil Hrabal en 2006, "Moi qui ai servi le roi d'Angleterre", une comédie qui raconte l'irrésistible ascension d'un garçon de café, des années vingt jusqu'aux purges staliniennes.
Une bonne comédie devrait traiter de sujets sérieux. Si vous commencez à traiter de sujets sérieux trop sérieusement, vous finissez par être ridicule.
Une déclaration qui résume à elle seule ce que fut l'esprit de la "Nouvelle vague tchèque", cet irrésistible mélange de critique sociale, de poésie, de liberté et d'humour grinçant.
Marie-Claude Martin avec les agences