Modifié

Au Festival de Zurich, plus d’auteurs, moins de stars

Walter Bieri [KEYSTONE]
Festival de Zurich: "Les stars font moins sensation, cʹest le cinéma dʹauteur quʹil faut défendre" / Vertigo / 7 min. / le 22 septembre 2020
Christian Jungen, nouveau directeur artistique et fervent cinéphile, donne un souffle neuf au Festival de Zurich, dont la 16e édition se tient du jeudi 24 septembre au 4 octobre malgré la pandémie. 

Des années que circulent les mêmes clichés, fondés ou non, sur le Festival du film de Zurich (ZFF): trop riche pour être honnête, trop glamour pour être cinéphile, trop zurichois pour intéresser les Welches. Mi-septembre, l’équipe du festival donnait une conférence de presse en terres romandes – une première. Dans le chalet de Claude Nobs, au-dessus de Montreux, le nouveau directeur artistique, Christian Jungen, par ailleurs historien du cinéma et ancien critique à la NZZ, annonce bel et bien un changement d’ère.

Rien d'une édition au rabais

Francophile, Christian Jungen a donc franchi le röstigraben et fait un premier pas vers l’ouest. "J’ai fait mon service militaire à Genève - la pire période de ma vie -, mais je m’y suis fait des amis et j’allais dans les salles de cinéma", confie-t-il en coulisses. A l’époque, les Alémaniques étaient mal vus, mais cette époque est révolue.

Côté programmation, ce cru pandémique n’aura rien d’une édition au rabais. 165 films dont 23 premières mondiales, un festival plus européen et francophile, avec une section consacrée à la relève du cinéma français (d’Antonin Peretjatko à Alice Winocour) et une compétition portée à 58% par des femmes (pour 40% de films de femmes au total). Bettina Oberli, la cinéaste suisse qui s’essaie à tous les genres, ouvrira la manifestation jeudi soir avec "Wanda, mein Wunder", annoncé comme une tragicomédie.

Renforcer sa position

Beaucoup de films ont été repoussés à 2021, les Américains ne sont pas là. Le festival a perdu environ 10% de son budget (environ 8 millions) cette année, en raison du désistement de certains sponsors. Les salles du ZFF auront une capacité de 60% en raison des distances de sécurité. "Il fallait maintenir le festival, au risque de nous trouver dans une situation très délicate l’an prochain. Mais cette situation nous permet aussi de nous concentrer sur un cinéma d’auteur qui a des choses à dire." Après la Berlinale, le ZFF est le festival le plus important de l’espace germanophone. Il veut y renforcer sa position.

Et des stars quand même

Quant aux stars, il y en aura bien quelques-unes. D'abord Johnny Depp qui a tenu à venir pour présenter "Crock of Gold", le documentaire qu'il a produit sur le chanteur du groupe The Pogues, mais aussi Juliette Binoche, Maïwenn et Olivia Coleman par vidéoconférence, "car elle est en tournage, et en temps de pandémie, son assureur lui interdit tout déplacement". Zurich ne renonce donc pas au glamour. C’est grâce aux stars que le festival est devenu grand.

Le festival de Zurich est unique, 93% de notre budget vient du privé. Et c’est avec les stars qu’on attire les sponsors. Mais ce qu’il faut défendre aujourd’hui, c’est le cinéma d’auteur. Les gens se sont habitués au streaming durant le confinement. Certaines salles de Zurich vont peut-être fermer et j’imagine que la situation romande n’est pas meilleure.

Christian Jungen, nouveau directeur du festival de Zurich.

Les sponsors impressionnés

Et le directeur de relever la "schizophrénie" médiatique à toujours revenir sur cette question des stars. On reproche à Zurich ses vedettes et paillettes – et donc sa prétendue superficialité – mais on ne s’intéresse qu’à cela. "Quand je dis aux journalistes: allez découvrir "That Girl", de la Suissesse Cornelia Gantner, un très beau documentaire tourné en Zambie, par exemple, là, ça devient beaucoup plus difficile d’attirer leur attention."

Mais les temps ont changé, et pas seulement à cause de la pandémie. "En mars, j’ai fait une interview d’une heure trente avec Wim Wenders à la Fondation Beyeler, à propos de l’influence du peintre Edward Hopper sur son cinéma. Même les sponsors étaient impressionnés. Je me suis dit que c’était cela, notre chemin pour le futur. Nourrir les gens, ouvrir des horizons. Aujourd’hui, une star sur un tapis vert qu’on applaudit cinq minutes et qui file à l’aéroport n’a plus grand-chose de sensationnel."

Raphaële Bouchet/mcm

Publié Modifié

Locarno ou la messe satanique

Durant la pandémie, le Festival de Zurich a beaucoup occupé le terrain en annonçant par exemple un rapprochement avec le Festival de San Sebastian, un nouveau partenariat avec le Montreux Jazz Festival – affirmant sa volonté de soutenir davantage la musique de films et d’organiser des concerts. Ou en créant un marché du film, alors que celui de Cannes s’est déroulé virtuellement.

La pandémie, malgré ses conséquences désastreuses sur l’industrie du cinéma, aurait-elle aussi représenté une opportunité pour le festival? "Dans le monde entier, une solidarité nouvelle est née entre festivals. Cette année, nous offrons aussi une carte blanche aux festivals annulés. Imaginez-vous, Locarno vient à Zurich! C’est Marco Solari, président, et Lili Hinstin, directrice artistique, qui présenteront un film. Cela se serait passé il y a dix ans, on aurait crié à la messe satanique à la Basilique Saint Pierre, plaisante le directeur, très heureux de mettre un point final à la discussion "Zurich contre Locarno, Locarno contre Zurich".