Vous savez comment on a traduit "Dirty Dancing" au Québec? "Danse lascive"! Et "Pulp Fiction"? "Fiction pulpeuse"! Les films pour enfants ne sont pas épargnés: "Cars" se transforme, argot aidant, en "Les Bagnoles".
Absurde? Oui, mais une loi oblige les Québécois à tout traduire en français, quitte à trahir le sens initial ou à pécher par une littéralité qui peut faire sourire.
Appâter le spectateur
Dans l'histoire du cinéma, la traduction des titres de films a droit à un chapitre. Première chose à savoir, c’est par lui qu’on appâte le spectateur mais le titre n'est pas immuable. Certains films ont des titres de travail, des titres alternatifs, et même des faux titres. Quand François Ozon tourne "Grâce à Dieu" à Lyon, en pleine affaire de pédophilie dans l’église, il intitule son film "Alexandre" pour ne pas attirer l’attention.
Viser le public cible
Pour Alain Boillat, professeur à la section d’Histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne, qui a fait de nombreuses recherches dans les archives de production, le titre est un élément vivant qui subit de nombreuses fluctuations, entre la première mouture d'un scénario et la distribution du film.
Le titre, c'est le lieu où la production pense au public, ou en tout cas à une certaine image de ce public. Pour prendre un exemple, "Only Lovers Left Alive" de Jim Jarmush a été distribué en France sous son titre original. On postule que le film d'auteur s'adresse à des gens qui connaissent le cinéma et que "Lovers" est compréhensible même aux oreilles de ceux qui ne maîtrisent pas l'anglais.
De l'anglais au franglais
C'est sur ce principe d'une vague connaissance de la langue de Shakespeare qu'il est fréquent de voir des titres anglais traduits en... anglais simplifié. Ainsi, "Hang Over" devient "Very Bad Trip"; "Analyse This" se transforme en "Mafia Blues" et "The Post", de Steven Spielberg, devient en français "Pentagon Papers". Des raccourcis que tout le monde peut comprendre.
Dans ce registre de la traduction simplifiée, il y a un mot dont le français raffole, le mot sexe. "No Strings Attached" devient "Sex Friends"; "Cruel Intentions" se mue en "Sex Intentions" et "Not Another Teen Movie" est baptisé "Sex Academy". Un mot très pratique pour attirer le public des 12-18 ans. Les Québécois, eux, osent la traduction mot à mot avec "Pas encore un film d'ados!".
Signaler le genre
Alain Boillat remarque une autre tradition du monde francophone: les distributeurs ou producteurs ont tendance à connoter tout de suite le genre grâce au titre. C'est particulièrement révélateur avec les films d'Hitchcock: "North By Norwest" est traduit par "La mort aux trousses" qui marque l'action, le suspense, alors que le titre original est plus abstrait, renvoyant aux tiraillements intérieurs du personnage joué par Cary Grant.
Idem pour "Vertigo" transformé en "Sueurs froides" qui sous-entend un climat horrifique au détriment de la dimension psychanalytique du titre anglais. Dans le monde francophone, le public doit comprendre tout de suite à quoi il a affaire. C’est vrai aussi pour les westerns.
Et le titre créa B.B.
Enfin, le titre peut aussi servir à annoncer la star du générique. Alain Boillat cite l'exemple de "En cas de malheur" (1958), avec Brigitte Bardot et Jean Gabin. Ce film de Claude Autant-Lara, tiré d'un roman de George Simenon, est devenu en anglais "Love Is My Profession". "Le titre a été entièrement recentré sur le personnage féminin, en mettant l'accent sur sa dimension sexuelle pourtant très anecdotique dans le film. Mais B.B. était alors une énorme star après le succès de `Et Dieu créa la Femme` de Vadim".
Raphaële Bouchet/mcm