C’est une transition qui ne devrait durer que quelques semaines. Après le départ précipité de Lili Hinstin pour cause de "divergences stratégiques", selon un énigmatique communiqué publié le 24 septembre, la Locarnaise Nadia Dresti reprend les rênes du festival. Mais pas question pour elle de se mêler de programmation artistique. "Je suis là pour assurer la continuité, montrer que le festival a la situation en main et préparer le terrain pour la prochaine direction, qui sera annoncée début novembre".
>> A lire, la trajectoire de Nadia Dresti : Nadia Dresti nommée directrice ad interim du Festival du film de Locarno
La fondatrice des Industry Days a consacré plus de trente ans de sa vie au festival. Elle le connaît comme sa poche, tout comme elle maîtrise les rouages de l’industrie du cinéma. "Pour diriger Locarno, il faut évidemment être cinéphile, mais aussi avoir une vision pour le public", analyse-t-elle.
De nombreuses et bonnes candidatures
Evénement cher au cœur des Tessinois, Locarno revendique aussi une envergure internationale. "La future direction devra avoir un carnet d’adresses à sa mesure. On ne peut pas se permettre de nommer quelqu’un sans expérience. Mais je peux vous dire que les candidatures ne manquent pas. Nous en avons de très bonnes. Cela démontre la force de Locarno et l’intérêt mondial que suscite le festival", poursuit Nadia Dresti.
Une "vision pour le public", est-ce là ce qui a manqué à la très cinéphile Lili Hinstin? Nadia Dresti ne commente pas le court règne de la Française à la tête du festival. Les deux parties se seraient séparées "d’un commun accord", toujours selon les termes du communiqué susmentionné.
>> A lire aussi : Lili Hinstin quitte la direction artistique du Festival de Locarno
Ligne artistique exigeante
Depuis le 24 septembre d’ailleurs, personne ne s’exprime ouvertement sur les causes de la rupture. "Chaque séparation est douloureuse, les mots la rendent encore plus triste", a succinctement déclaré Marco Solari, le président du festival, qui, depuis vingt ans qu’il est en poste, a vu défiler cinq directeurs ou directrices.
En coulisse, on chuchote qu’il y avait "incompatibilité" entre lui et Lili Hinstin. Que cette dernière méconnaissait la réalité tessinoise et a pu paraître maladroite. Et que sa ligne artistique exigeante, pourtant adoubée par la critique, n’avait pas l’heur de plaire.
La future direction artistique de Locarno devra en tous les cas réaliser l’exercice périlleux de mettre en place une édition 2021 en quelques mois seulement et ce dans un contexte sanitaire incertain. Nadia Dresti espère une entrée en fonction de la nouvelle personne pour début janvier 2021.
Une double connaissance
Quant à Frédéric Maire, actuel directeur de la Cinémathèque suisse, qui a dirigé le festival entre 2005 et 2009, il ne revient pas non plus sur le cas Lili Hinstin, mais évoque les difficultés qui ont trait à ce poste très en vue, surtout quand la personne choisie vient de l’étranger.
"J’ai l’impression que pour diriger Locarno au niveau artistique, il faut une bonne compréhension des enjeux locaux et nationaux, tout en ayant un regard international. C’est évidemment un équilibre difficile à trouver, affirme-t-il. Avec le Français Olivier Père ou la Romaine Irene Bignardi ou même Marco Müller, qui avait de lointaines origines suisses, c’était le choix de l’international".
Selon lui, "le côté français a peut-être pu déranger. Il y avait une forme d’éloignement psychologique qui fait qu’on peut, au Tessin, avoir l’impression que celui ou celle qui vient de France comprend moins les besoins du Tessin et de la Suisse. Ce qui, en soi, dans les chiffres, est faux: on a bien vu que Lili Hinstin a donné énormément de place au cinéma national. Mais c’est une perception qu’il sera probablement difficile de changer".
Tension entre l'artistique et le festif
L’actuel directeur de la Cinémathèque suisse souligne qu’une tension naît entre, d’un côté, la vision artistique internationale du festival, lieu de découvertes et de nouveaux courants et, de l’autre, les besoins d’un événement public, "mais peut-être un peu trop public, peut-être un peu plus festif que festivalier". Pour certains, poursuit-il, faire la fête s’avère plus important que voir des films. "Or si ces films n’étaient pas là, la fête n’aurait pas lieu".
Plus le festival grandit en termes de budget et de visiteurs, plus cette tension est grande. "On a créé un poste de directeur administratif, lorsque j’étais à la tête du festival, parce qu’il était difficile pour un directeur unique de tout superviser. Mais peut-être qu’aujourd’hui, il y a une sorte de recollement à retrouver pour qu’il y ait davantage d’harmonie entre l’artistique, l’économique, le politique, voire le social".
Toujours un festival jeune
Enfin, pour Frédéric Maire, parler une fois de plus de "déclin" du festival est une antienne ressassée – "on disait déjà cela quand je le dirigeais". Preuve en est la récente invitation de Locarno à la Mostra de Venise, aux côtés de sept autres festivals d’importance. Et le fait qu’il ait changé cinq fois de direction artistique en vingt ans n’est en rien "un mauvais signal", conclut l’ancien directeur. "Locarno est un festival perçu comme jeune et ce roulement fait partie de son identité".
Raphaële Bouchet/mcm