Nouvel épisode dans la polémique autour de "Mignonnes", le premier long métrage de la réalisatrice franco-sénégalaise Maimouna Doucuré qui n'est pas sorti en Suisse.
Le 15 septembre, Netflix a été inculpé par un grand jury dans le comté de Tyler, à l'est de Houston. C'est ce que révèle un document rendu public mardi par un élu local. Selon l'accusation, la plateforme de streaming a "promu en connaissance de cause" des visuels qui donneraient à voir "l'exhibition obscène" des parties génitales de mineures, sollicitant un "intérêt lubrique pour le sexe".
Ce crime est passible de prison dans l'Etat conservateur. Le grand jury a également tranché que le film n'avait "aucune valeur littéraire, artistique, politique ou scientifique réelle".
"Cuties", son titre en anglais, évoque l'histoire d’Amy, préadolescente parisienne de 11 ans, qui intègre un groupe de danse formé par trois autres filles de son quartier. Elle est tiraillée entre deux normes contradictoires: le respect de la religion et le désir de s'émanciper, notamment par le corps.
Polémique sur l'affiche
Tout avait pourtant bien commencé pour "Mignonnes", dont la sortie en France avait été accueillie chaleureusement, autant par la critique que par le public. C'est lors de sa mise en ligne sur Netflix aux Etats-Unis le 9 septembre, qu'éclate une polémique internationale, portée notamment par la droite américaine qui accuse la plateforme de sexualiser les corps des enfants.
Les détracteurs, dont plusieurs ont avoué n'avoir pas vu le film, se basent alors sur l'affiche de Netflix, très différente de l'originale: sur celle de la plateforme, on voit les jeunes protagonistes dans leurs tenues de danse, effectivement hyper sexualisées, et dans des positions suggestives. Une affiche qui fait le tour de la toile. Des milliers d'internautes s'insurgent sur Twitter, appelant à l'arrêt de l'exploitation des jeunes filles et au boycott de la plateforme avec le hashtag #CancelNetflix. Un sénateur républicain, ne faisant pas la différence entre l'affiche et le film, déclare: "Les pédophiles, les violeurs d'enfants et le pervers se régaleraient avec 'Cuties'".
L'attaque la plus frontale provient du sénateur conservateur Ted Cruz qui a rédigé une lettre à l'adresse du ministère de la Justice. "Le film fétichise et sexualise régulièrement ces préadolescentes alors qu'elles exécutent des danses simulant un comportement sexuel dans des vêtements révélateurs".
Il est probable que le tournage de ce film a créé des scènes encore plus explicites et abusives.
L'ultraconservateur demande donc qu'une enquête soit menée afin de savoir si des lois fédérales sur "la pornographie juvénile" ont été enfreintes et si le tournage a pu donner lieu à la sexualisation des actrices. Ted Cruz semble ignorer que Netflix n'est pas producteur du film mais seulement distributeur. La plateforme n'a donc aucune implication dans le tournage du film.
Netflix ne répond pas à ces demandes, qui visent surtout les scènes où les fillettes dansent comme les rappeuses qu'elles admirent. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #CancelNetflix se multiplie et les messages outrés ne cessent de pleuvoir.
Profond malentendu
L'affaire est d'autant plus malheureuse que le film dénonce précisément cette hypersexualisation. Ce que relevait la ministre de la Culture française Roselyne Bachelot dans un communiqué publié en septembre: "Les critiques virulentes dont le film "Mignonnes" est la cible, prêtent à la réalisatrice une intention qui est en contradiction totale avec le propos de son oeuvre. Elles se fondent sur une série d'images réductrice et décontextualisée du film".
Comble de l'absurde, le film et ses détracteurs sont porteurs d'un discours sensiblement identique, à savoir une mise en garde de la sexualisation précoce des pré-adolescentes.
Face à la déferlante, Netflix finit par retirer l'image et s'excuse, mais le mal est fait et de nombreux élus ultraconservateurs américains s'engouffrent dans la brèche.
La réception d'une oeuvre
Au-delà de la polémique, "Mignonnes" représente un véritable cas d'école sur la manière dont un film peut être réceptionné, par qui, dans quel contexte, et comment.
Elle interroge également la responsabilité du diffuseur, surtout en ces temps de tensions idéologiques liées à la campagne électorale aux Etats-Unis. "C'est aussi un signe de notre temps qui passe trop rapidement sur les choses, notamment via le streaming, et s'enflamme avant d'en avoir une connaissance plus approfondie", explique Charles-Antoine Carcoux, historien du cinéma à l'Université de Lausanne.
On est dans une culture très polarisée [aux Etats-Unis], ou chaque micro-évènement est surdramatisé pour servir les intérêts des uns et des autres.
Arroseur arrosé ou pompier pyromane, Netflix, aujourd'hui inculpé par un grand jury dans le comté du Texas, paye pour son positionnement marketing racoleur qui encourage les polémiques sur les réseaux sociaux, où un mauvais buzz reste tout de même un buzz. Netflix donne ainsi raison aux détracteurs du film.
"Nous sommes toutes et tous co-responsables du sens qu'on assigne à une œuvre ou un film", dit Charles-Antoine Carcoux. Et c'est d'autant plus vrai pour Netflix.
Miruna Coca-Cozma/Marie-Claude Martin.