"Planète interdite", la science-fiction existentialiste

Grand Format Cinéma

AFP - MGM

Introduction

Signé Fred McLeod Wilcox, "Planète interdite" ("Forbidden Planet") est sorti en 1956. A la fois nanar complètement kitsch et film qui interroge le moi et le surmoi dans des décors surréels, ce long-métrage est matriciel. Il va planter les jalons de tous les films de science-fiction à venir. Tourné en Cinémascope et en couleurs, il ouvre la voie à "Star Trek", à la série "Lost in Space", à l’"Odyssée de l'espace" de Kubrick et même à "Star Wars".

Chapitre 1
Une trame shakespearienne

AFP - Photo12

La trame de "Planète interdite" est directement inspirée de "La Tempête", la dernière tragédie écrite par William Shakespeare. Dans le film, la question du double maléfique, la part d'ombre que l'on porte en soi, incarnée par les pulsions destructrices et générées par l'inconscient, sont au cœur du sujet. Tout comme la part de Dieu et la part du diable.

Synopsis:

En 2257, le croiseur spatial C-57D, commandé par John Adams (Leslie Nielsen), est en route vers la planète Altaïr IV pour secourir le Bellérophon, un vaisseau d'exploration dont l'équipage n'a plus donné signe de vie depuis dix-neuf ans.

Approchant de la planète, les astronautes entendent la voix du professeur Edward Morbius (Walter Pidgeon), un ancien membre de cette expédition perdue. Il avertit l’équipe de secours que s’ils se posent sur la planète, ils ne seront pas en sécurité.

"Planète interdite" de Fred M Wilcox, 1956. [AFP - MGM]
"Planète interdite" de Fred M Wilcox, 1956. [AFP - MGM]

Ignorant l'avertissement, le commandant Adams, les lieutenants Farman et Doc Ostrow, se posent. Ils sont accueillis par Robby, un robot créé par Morbius qui parle et répond comme un être humain. La fille de Morbius, Altaïra (Anne Francis), peu farouche et curieuse de tout, est ravie de les voir.

Morbius leur explique alors que toutes les autres personnes arrivées avec eux sont mortes peu après l'atterrissage dans des circonstances mystérieuses. L'ambiance se fait déplaisante, d'autant que durant la nuit, quelque chose s'introduit dans le vaisseau terrien et sabote du matériel de transmission. Morbius révèle que sur cette planète se trouvent les restes d’une civilisation disparue, très avancée techniquement, les Krells.

"Planète interdite"  de Fred McLeod Wilcox. [AFP - MGM]
"Planète interdite" de Fred McLeod Wilcox. [AFP - MGM]

Morbius a utilisé sur lui-même un appareil conçu par les Krells pour augmenter ses capacités intellectuelles. Il emmène le commandant visiter la centrale énergétique des Krells: une installation incroyable, plongeant jusqu'au noyau de la planète.

Adams se met à réclamer cette technologie au nom de l'humanité, mais Morbius refuse. C'est alors qu'une ombre invisible se met à tuer. Adams comprend que c'est l'inconscient de Morbius qui crée les monstres.

Morbius tente d'apaiser son inconscient, mais il lui est difficile d'imaginer que ces monstres sont une partie de lui-même, son moi diabolique. Seule sa mort pourrait enrayer le processus.

La fin du film montre le vaisseau qui repart, avec à son bord, Adams, Altaïra et Robby qui assistent, hors de portée, à l'explosion de la planète Altaïr IV.

Chapitre 2
Une vision très novatrice

AFP - MGM

Creuset de tous les films de science-fiction qui vont suivre, "Planète interdite" contient le premier hologramme montré au cinéma. On y admire également la science des Krells, si puissante, existant au cœur de la planète, et surtout cette idée de la puissance de l'esprit capable de créer des monstres, une notion de psychanalyse qui n'était pas encore très connue à l'époque.

Parabole psychologico-philosophique, le film s'accompagne d'humour, de musique électronique et de décors mémorables.

La maison de production MGM n'est pas spécialisée dans le genre science-fiction. A l'époque, elle cherche juste à se positionner sur le marché. Elle veut quelque chose qui s'inscrive dans la durée.

Heureusement pour les patrons, qui ne s'intéressent guère au projet, l'élite des concepteurs artistiques et décorateurs de la firme au lion semble se passionner pour le film.

>> A écouter, l'émission "Travelling" dédiée au film :

Le poster du film "Planète interdite" (1956) de Fred McLeod Wilcox. [Domain public]Domain public
Travelling - Publié le 11 octobre 2020

Sachant notre hiérarchie pas intéressée par le film, nous avons décidé d’aller de l’avant et de donner à "Forbidden Planet" le style qu’il devait avoir sans nous préoccuper de ce foutu budget. Cela nous permit de créer un nouveau monde extérieur à notre système solaire. Cela présentait une chance exceptionnelle. Personne ne pouvait nous dire que nous nous trompions. Nous pouvions tout faire.

Un intervenant du film

On peint un cyclorama, une immense toile, tendue en cercle, représentant la planète, et l'espace derrière. La maison de Morbius est dotée de formes surprenantes, avec ses ouvertures en triangle dans la partie qui forme le laboratoire.

Les décors de "Planète interdite". [AFP - Photo12]
Les décors de "Planète interdite". [AFP - Photo12]

Pour les animations, on engage un animateur des studios Disney qui s'occupera du monstre et de ses manifestations. Tout est extrêmement bien pensé et fait de ce film, étonnamment, un ensemble cohérent.

Chapitre 3
Robby, le robot à tout faire

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Issu de la technologie des Krells, directement du cerveau du professeur Morbius, voici Robby le robot à tout faire. C'est l'accessoire le plus coûteux du film.

Robby est un mélange de plastique, de métal, de caoutchouc, de plexiglas. Sa conception est attribuée à Robert Kinoshita, qui créera plus tard sur le même modèle le robot de la série "Lost in Space".

Robby, le robot de "Planète interdite", Fred M Wilcox, 1956. [AFP - MGM]
Robby, le robot de "Planète interdite", Fred M Wilcox, 1956. [AFP - MGM]

Sur sa structure de 2,29 m et de 45 kilos, on adjoint six moteurs électriques et un kilomètre de câblage pour permettre la mobilité des bras, des jambes, et de la tête. Le robot est un costume habité par un comédien non crédité au générique. Il plaît tellement qu'il sera réutilisé dans un autre film en 1957, "The Invisible Boy", en tant que compagnon d'un petit garçon.

Robby devient une figure clé de la robotique et de la science-fiction. On le transforme en jouet, ce qui est peu fréquent en 1956.

La MGM exploite Robby pendant des années. On le retrouvera dans un épisode de "Columbo", dans "La Famille Adams", dans la série "La Quatrième Dimension". Il a été vendu en 2017 pour 5,4 millions de dollars.

Quant au film, le patron de la MGM à l’époque, si peu intéressé par le projet, finit par se déclarer stupéfait du résultat.

Le succès du film sera à la hauteur de sa stupéfaction.

Chapitre 4
Une B.O. qui fait date

AFP - MGM

La bande originale du film fait également date dans l'histoire de la musique et du cinéma, puisqu'elle ne contient que des effets sonores.

On la doit à Louis et Bebe Barron, des précurseurs de la musique électronique. Leur studio de création new-yorkais est un carrefour d'avant-garde.

Louis Barron, fan absolu de sons, bidouille des circuits, invente un ring Modulateur, une machine capable de produire différentes modulations et amplitudes. Difficiles, voire impossibles à reproduire, leurs sonorités tiennent alors de la performance.

En 1955, Hollywood vient les chercher pour leur proposer la post-production de "Planète interdite". Le couple Barron propose un bout d'essai, qui, selon la légende, transporte immédiatement l’équipe du film dans une autre dimension. Les Barron sont engagés pour 30'000 dollars.

La première bande son complètement électro est née à Manhattan en mars 1956. A la sortie du film, cette musique trop moderne, trop bizarre, trop spatiale peut-être, déplaît à l'organisation syndicale des musiciens et compositeurs américains qui exigent de la MGM que dans le générique, la composition des Barron ne soit pas créditée comme musique mais comme tonalités électroniques.

Par la suite, le couple sera mentionné dans la catégorie effets sonores. Reste que cette bande originale est celle qui a permis à la musique électronique de toucher le grand public. Elle est absolument indispensable. La BO ne sortira qu'en 1976, soit 20 ans plus tard.

"Planète interdite", de Fred M Wilcox, 1956. [AFP - MGM]
"Planète interdite", de Fred M Wilcox, 1956. [AFP - MGM]

Chapitre 5
Sortie du film et réception

Photo12 via AFP - Archives du 7eme Art

La première du film a lieu le 15 mars 1956. Il plaît immédiatement.

"Planète interdite" est si populaire qu'il est joué en continu dans le Grauman's Chinese Theatre, sur Hollywood Boulevard, pendant 6 mois. La sortie s'accompagne toutefois d'un mini scandale. C'est la robe courte de l'actrice qui fait jaser.

Anne Francis et sa minirobe qui fit scandale à la sortie du film "Planète interdite" en 1956. [AFP - MGM]
Anne Francis et sa minirobe qui fit scandale à la sortie du film "Planète interdite" en 1956. [AFP - MGM]

C'est la première fois qu'Hollywood montre une actrice si courtement vêtue. En 1956, les minijupes ne sont pas encore du tout à la mode. A cause de cet écart vestimentaire, le film est interdit en Espagne pendant plus d'une dizaine d’années.

Mais passé le scandale du court-vêtu, le film trouve son public. La presse aime, les critiques aussi, et les membres de la profession également. "Planète interdite" reçoit un Oscar pour les effets visuel et est nominé pour sa bande originale.

Ses décors, l'imagination débridée de ceux-ci, l'image visuelle globale et le discours font du film un classique du genre. Il a réussi à échapper de sa condition de long-métrage à petit budget pour devenir un film culte, lieu de rencontre des idées libres et neuves, réunion de talents inespérés.

"Planète interdite" de Fred M. Wilcox. [AFP - Photo12]
"Planète interdite" de Fred M. Wilcox. [AFP - Photo12]

Avec le recul, le récit paraît un peu simpliste et parfois ridicule, et les personnages stéréotypés, mais l'humour qui s'introduit  dans la dramatique fait passer le tout.

Lors de sa sortie en France, il fait grande impression. Les Cahiers du Cinéma en parlent comme du film qui ouvre le chemin à une science-fiction sérieuse. On y parle mythologie, religion, psychanalyse. Et de l'homme qui ne peut pas se prendre pour un dieu.

En 2013, le film est sélectionné par la Bibliothèque du Congrès américain pour y être conservé, en tant que film "culturellement, historiquement ou  encore esthétiquement important".