Recenser cent films du cinéma policier français avec la contrainte de n'en choisir qu'un par réalisateur, voilà le challenge que l'historien et amoureux du cinéma Jean Ollé-Laprune a relevé avec brio.
"Le cinéma policier français - 100 films, 100 réalisateurs" est une mine d'or qui mêle analyse et anecdotes sur l'écriture, la réalisation, le tournage ou encore la postérité des films choisis.
Voilà de quoi traverser toute l'histoire du cinéma policier français qui débute en 1901 avec un film de cinq minutes intitulé "Histoire d'un crime", de Ferdinand Zecca. "Un film primitif du tout début du cinéma qui a eu beaucoup de succès et qui a été souvent plagié", précise Jean Ollé-Laprune à la RTS.
Suivront de nombreux autres films, de "Fantômas" (1932) aux "Misérables" (2019) en passant par les "Tontons flingueurs" (1963), "La Piscine" (1969) ou encore "Tchao pantin" (1983). Des fictions qui ont donné leur heure de gloire à des acteurs comme Jean Gabin, Lino Ventura ou Alain Delon.
Pour faire son choix, Jean Ollé-Laprune ne s'est pas trop embarrassé des classifications de genres et de sous-genres entre films noir, policier, thriller ou polar: "Le film policier est un film qui fait intervenir la police et lorsque la police n'est pas dedans, elle ferait bien de s'en mêler assez rapidement".
Mise en bouche à travers cinq films qui ont traversé l'histoire du genre.
"Le corbeau" de Henri-George Clouzot (1943)
Sorti pendant la Seconde Guerre mondiale, ce film est une mise en abyme de son époque qui a "réussi à se mettre tout le monde à dos", selon Jean Ollé-Laprune. Les Allemands qui étaient furieux de voir un film qui condamnait la pratique des lettres anonymes, moyen privilégié d'informations des Occupants, le gouvernement de Vichy qui n'a pas apprécié de voir des médecins avorteurs, des suicides et des prêtres pas toujours sympas, et les Résistants qui trouvaient que ce film n'était pas du tout le reflet de la France.
Le film est interdit au moment de la Libération et Clouzot banni à vie du métier de réalisateur, deux sanctions qui seront levées quelques années plus tard. Pour Jean Ollé-Laprune, ce film demeure un immense chef-d'œuvre qui a marqué les spectateurs au point de faire entrer le mot "corbeau" dans le langage populaire pour désigner un auteur de lettres anonymes.
"A bout de souffle" de Jean-Luc Godard (1960)
Ce film emblématique des débuts de la Nouvelle Vague s'inspire d'une histoire vraie et met en scène Jean-Paul Belmondo, un petit malfrat qui aime une fille incarnée par Jean Seberg et qui cherche à la convaincre de partir à Rome avec lui.
"A bout de souffle" est une oeuvre révolutionnaire en raison de toutes les nouveautés apportées par Jean-Luc Godard, comme la technique de montage, la rupture entre les scènes, le tournage en extérieur ou le rythme. "Godard a pulvérisé le système, il a fichu la pagaille dans le cinéma, ainsi que l'a fait Picasso dans la peinture, et comme lui il a tout rendu possible", écrira François Truffaut à propos de ce film.
"La bonne année" de Claude Lelouch (1973)
Avec Lino Ventura et Françoise Fabian dans les rôles principaux, "La bonne année" est un drôle de film policier que l'on ne sait pas trop comment qualifier. Simon tombe amoureux d'une propriétaire de magasin d'antiquités, mais ils ne sont pas du même monde. Suite à un casse, il est emprisonné durant quelques années. A sa sortie, l'aura-t-elle attendu?
"La bonne année" est un film qui expérimente beaucoup. Il est construit sur de nombreux flashbacks et joue sur une alternance entre le noir et blanc et la couleur. Beaucoup de choses compliquées à réaliser qui donnent pourtant au final un film très simple et drôle à voir. C'était d'ailleurs un des films préférés de Stanley Kubrick qui le montrait souvent à ses acteurs avant qu'ils ne tournent.
En 1987, le réalisateur américain John G. Avildsen a fait un remake de ce film ("Happy New Year") dans lequel tout est remis dans l'ordre chronologique. "Sans aucun intérêt et totalement plat", juge Jean Ollé-Laprune.
"L'été meurtrier" de Jean Becker (1983)
C'est le plus gros succès du réalisateur Jean Becker qui fait alors son grand retour après seize ans de silence. "L'été meurtrier" remporte quatre César, dont celui de la meilleure actrice pour Isabelle Adjani pour un rôle qui est devenu emblématique. Rôle qu'elle avait d'ailleurs refusé dans un premier temps avant de revenir sur sa décision.
Ce film est adapté d'un roman de l'écrivain français Sébastien Japrisot, qui signe aussi le scénario. Et c'est une nouveauté. Jusque là, le cinéma policier français s'inspirait le plus souvent de polars américains. Jean Ollé-Laprune estime que ce film a bénéficié d'un "alignement des astres parfait": un réalisateur et un scénariste - amis dans la vie - qui cherchent à s'épater mutuellement dans une rivalité fructueuse, donnant ainsi le meilleur d'eux-mêmes, des conditions de tournage idéales puisqu'une vraie canicule fait rage à ce moment-là et une actrice qui est parfaitement adaptée à son rôle.
"La cité de la peur" de Alain Berbérian (1994)
Sur un scénario écrit pas Les Nuls (Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique Farrugia) qui jouent également dans le film, "La cité de la peur" est une parodie des films policiers dont l'intrigue prend place lors du Festival de Cannes.
"Cette comédie figure dans mon ouvrage car elle répond à tous les critères. Il y a des policiers, il y a des meurtres et de la mise en scène", s'amuse Jean Ollé-Laprune avant de préciser qu'au-delà de la rigolade, Les Nuls maîtrisent tous les codes du genre policier. Ce qu'ils ont fait est devenu une parodie de référence dans le genre.
Sujet radio: Pierre Philippe Cadert et Rafael Wolf
Adapation web: Andréanne Quartier-la-Tente
Jean Ollé-Laprune, "Le Cinéma policier français. 100 films, 100 réalisateurs", éd. Hugo Image.