"Le Cercle des poètes disparus", film culte des ados des années 1990

Grand Format Cinéma

Introduction

Sorti en 1989, ce film de Peter Weir est poétique, lumineux, libertaire et unique en son genre. Dans son rôle de professeur atypique, Robin Williams a marqué de son empreinte toute une génération d'adolescents et de spectateurs.

Chapitre 1
"Oh capitaine, mon capitaine"

"Le Cercle des poètes disparus" ("Dead Poets Society") de Peter Weir est certainement le film le plus populaire de l'année 1989. Il récolte l'Oscar du meilleur scénario et le César du meilleur film étranger.

Se basant sur le récit partiellement autobiographique de Tom Schulman, Peter Weir signe ici son film le plus abouti.

L'évocation de ce groupe de jeunes gens, coincés dans une école austère, dans un carcan familial traditionaliste et qui découvrent un jour la liberté des mots, fait mouche. Au début des années 1990,  il n'y a pas un.e adolescent.e qui ne susurre à ses copains: "Carpe diem".

Chapitre 2
Un professeur de lettres pas comme les autres

Touchstone Pictures / Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP

L'académie Welton dans le Vermont est une des institutions scolaires les plus réputées, les plus austères et les plus fermées des Etats-Unis. Elle accueille depuis des générations la crème de la bourgeoisie américaine. L'honneur, le sens du devoir, la discipline, l'obéissance sont les mamelles de cette institution.

Mais à l'automne 1959, tout change quand un professeur de littérature fait son entrée. John Keating est plus qu'un enseignant: il est un mentor, un esprit jeune et fougueux. Il a de la fantaisie à revendre, a l'art de savoir écouter et d'ouvrir les esprits ainsi que les cœurs des jeunes gens. Il sait bousculer les certitudes de chacun, pousser ses étudiants à s'affirmer, à sortir des sentiers battus. Ce qu'il enseigne ne se retrouve dans aucun manuel: c'est l'amour de la vie, de la liberté, de la poésie.

On ne lit pas et on n'écrit pas de la poésie parce que c'est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l'humanité. Et l'humanité est faite de passions. La médecine, le droit, le commerce sont nécessaires pour assurer la vie, mais la poésie, la beauté, la romance, l'amour, c'est pour ça qu'on vit.

Le professeur John Keating dans le film "Le Cercle des poètes disparus"

D'abord intrigués, ses élèves se laissent vite séduire par cet homme à part et ses méthodes d'enseignement peu orthodoxes.

Très vite, ils apprennent que Keating était jadis un élève de Welton et un des membres influents du Cercle des poètes disparus. Les élèves réactivent le club, se retrouvent nuitamment dans une grotte pour lire des poèmes de leur composition.

Chacun sort de sa coquille. Le théâtre, la poésie, l'amour, la liberté les étourdit. La chute n'en sera que plus brutale.

Carpe diem. Saisissez l'instant présent, les garçons. Faites de votre vie quelque chose d'extraordinaire.

Le professeur John Keating dans le film "Le Cercle des poètes disparus"

Qu'un film américain soit tout entier construit autour d'une citation latine du poète Horace a de quoi surprendre. C'est pourtant moins surprenant quand on sait que le scénariste Tom Schulman s'est partiellement inspiré de ses souvenirs de collégien et de sa propre carrière d'enseignant pour écrire cette histoire.

Ecrit en 1985, son scénario est immédiatement acquis par Steven Haft producteur. Celui-ci confie dans les notes de production du film: "J'ai tout de suite été fasciné par cette histoire et le suis encore après plusieurs dizaines de lectures. Tom Schulman a conçu là quelque chose de remarquable: une intrigue qui ne doit rien aux artifices du grand spectacle et qui repose tout entier sur la personnalité d'un homme, ses idées, son enthousiasme et son charisme. Celui-ci a pour devise de tout faire pour 'être soi-même et non les autres'".

L'acteur Robin Williams joue le rôle de John Keating, professeur de lettres, dans "Le Cercle des poètes disparus" sorti en 1989.
L'acteur Robin Williams joue le rôle de John Keating, professeur de lettres, dans "Le Cercle des poètes disparus" sorti en 1989.

"Le Cercle des poètes disparus" est construit sur la confrontation de deux univers fortement contrastés: le monde clos, discipliné et privilégié de l'Académie de Welton et celui, quasi mystique, de la caverne où se rassemble, en secret, "Le Cercle des poètes disparus".

Welton symbolise l'ordre, l'harmonie, les proportions classiques. La caverne représente la part d'ombre de l'homme, ses aspirations profondes. Elle constitue un refuge protecteur où les jeunes laissent libre cours à leur inspiration.

Mais "Le Cercle des poètes disparus" est aussi un scénario hanté par la mort car cette ode à l'accomplissement individuel se montre aussi d'une intransigeance sans pitié. D'ailleurs un des personnages s'y brûlera les ailes. Et c'est aussi ça qui fait l'intérêt de cette histoire.

Le film arrache d'ailleurs des torrents de larmes aux spectateurs qui, en sortant des salles de cinéma, se mettent à penser à leur mort et surtout à l'urgence de vivre.

Une fois les droits du scénario acquis, les producteurs cherchent rapidement l'acteur qui sera à même d'incarner le personnage principal: John Keating, le professeur excentrique.

Robin Williams semble une évidence. Ce comédien possède l'originalité, le dynamisme et la liberté d'esprit qui peuvent faire un grand professeur. L'acteur donne son accord.

Chapitre 3
Peter Weir, un réalisateur en adéquation avec son film

Reste à trouver le réalisateur. Il faut quelqu'un de fin et de sensible. Pour filmer ce scénario où le contenu intellectuel, la poésie doit être magnifiée, la résonance humaine également. Les producteurs démarchent Peter Weir, un réalisateur australien né en 1944.

En 1989, son nom est alors lié essentiellement à ce continent si lointain pour nous. Pourtant, avec "L'année de tous les dangers" en 1982, avec Sigourney Weaver et Mel Gibson, le voilà qui apparaît sur d'autres continents. "Witness "en 1983, puis "Mosquito Coast" avec Harrison Ford, ouvrent sa carrière américaine.

En novembre 1988, quand le réalisateur Jeff Katzenberg lui tend quelques feuillets concernant "Le Cercle des poètes disparus" que sa société va produire, Peter Weir est séduit.

"Le titre accrocha mon regard. J'ouvris le script et le dévorai d'une traite. C'était un récit fascinant dont je ne pouvais me détacher. Il possédait une densité rare, digne d'un grand roman de Dickens, avec une étonnante profusion de personnages et de situations… John Keating n'est ni un agitateur ni un gauchiste. On rencontre des hommes comme lui à toutes les époques. C'est simplement quelqu'un qui croit à la liberté de pensée et encourage ses disciples à exprimer leur propre sensibilité", raconte le réalisateur.

Dans une interview à The Movie Show en 1989, il précise encore: "Je ne pouvais plus me sortir cette histoire de la tête. Elle me rappelait ma propre scolarité. A la même période, j'étais dans une école similaire."

L'adéquation entre le sujet et son réalisateur semble parfaite. Un personnage central qui se bat contre son milieu, des ambitions humaines et littéraires, une fin en demi-teinte. De quoi se sentir porté et transporté.

Je m'en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte. Vivre, intensément, et sucer toute la moelle de la vie. Mettre en déroute tout ce qui n'était pas la vie pour ne pas découvrir, à l'heure de ma mort que je n'avais pas vécu.

Extrait d'un poème de Henry David Thoreau, cité dans "Le Cercle des Poètes disparus"

Très vite, le cinéaste met ses propres souvenirs sur ceux du scénariste. Sa vision du film prend forme. D'autant que le comédien principal est déjà choisi.

La seule chose qu'il réécrira est la poésie dans le film. Car dans "Le Cercle des poètes disparus", on lit à haute voix. Ce sont des joutes verbales. Les jeunes gens se réunissent, discutent, lisent. Le cercle force l'ouverture et la camaraderie bien plus que la compétition entre les garçons. Ils ne se disputent ni le talent, ni la réputation, ni le matériel.

La poésie devient partie intégrante du film. Elle suinte de tous les pores, dans toutes les scènes. Elle devient un exercice de liberté. Car la poésie, pour qu'elle touche au cœur et à l'âme, doit mettre des mots en musique. La poésie, c'est le rythme de la voix, c'est élan.

>> A écouter, l'émission "Travelling" consacrée au film "Le Cercle des poètes disparus" :

Les acteurs Ethan Hawke (à gauche) et Robin Williams (à droite) dans "Le Cercle des poètes disparus". [Collection Cinema / Photo12 via AFP]Collection Cinema / Photo12 via AFP
Travelling - Publié le 24 juillet 2023

Chapitre 4
Robin Williams et sept adolescents au casting

Touchstone Pictures / Collection ChristopheL via AFP

Robin Williams est essentiel dans ce film. Lui aussi, comme le réalisateur, a fréquenté une école privée traditionaliste dans le style de Welton et c'est une des raisons pour lesquelles le sujet et le personnage de Keating l'ont tant intéressé. Tout comme la liberté d'esprit dont il se revendique.

"Keating a le chic de faire rire ses élèves, précise le réalisateur dans les notes de production. Par des gestes inattendus, par des tournures incongrues, mais il n'en reste pas moins un enseignant. Son humour fait partie intégrante de sa personnalité, mais il n'était pas question d'en faire un amuseur. Ç'aurait été une grossière erreur, une facilité impardonnable. Robin Williams et moi étions parfaitement d'accord sur ce point.

Robin Williams dans le rôle d'un professeur de lettres dans un collège américain à la fin des années 50. [Touchstone Pictures / Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]
Robin Williams dans le rôle d'un professeur de lettres dans un collège américain à la fin des années 50. [Touchstone Pictures / Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]

Face à Robin Williams, on engage sept jeunes gens. Des vrais teenagers. Peter Weir ne veut pas d'acteurs de 25 ans qui rejouent leur adolescence. On auditionne plus de 500 jeunes à travers les Etats-Unis pour former le cercle des poètes. Parmi eux: Robert Sean Leonard, Ethan Hawke, Josh Charles.

Peter Weir écrit dans les notes de production du film: "Ce film exalte l'esprit d'aventure, les espoirs, la vitalité et les élans de la jeunesse. Il était donc important que nos jeunes poètes forment un groupe harmonieux sur l'écran comme dans la réalité. J'ai tenté de créer une ambiance qui leur permettrait d'être leur personnage, de vivre leur film comme une expérience réelle. Ethan Hawke, qui interprète l'apprenti écrivain Todd Anderson, m'a séduit par son mélange de timidité et d'énergie. Robin Sean Leonard, qui incarne le comédien en herbe Neil Perry, possède les meilleures qualités des acteurs anglais et des jeunes premiers américains: formation, discipline, intelligence et naturel.

Les cinq autres protagonistes du film, Gale Hansen, Josh Charles, Dylan Kussman, James Waterston et Allelon Ruggiero forment durant les dix semaines du tournage un groupe étroitement soudé".

Un cours de littérature un peu particulier dans "Le Cercle des poètes disparus". [Touchstone Pictures / Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]
Un cours de littérature un peu particulier dans "Le Cercle des poètes disparus". [Touchstone Pictures / Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]

Le film est tourné à l'école Saint Andrew, dans l'État du Delaware, durant les vacances de Thanksgiving et de Noël afin de ne pas perturber les cours.

On tourne l'essentiel du film en continuité pour permettre aux comédiens de mieux s'imprégner de cette histoire. Ainsi les comédiens apprennent à se connaître intimement, à développer leur personnage sur la longueur. Chacun sait ce qui fait réagir son compère. Pour encore plus de naturel, Peter Weir ne montre pas les rushes à ses jeunes comédiens et les fait habiter dans des chambres contiguës dans un hôtel. La camaraderie et l'amitié sont tangibles.

Le tournage est agréable, paisible. De l'avis général, Peter Weir est un doux. Sur le plateau, il apprécie le travail de chacun. Il écoute, comprend, cajole, conseille avec intelligence, se faisant obéir par le respect qu'il inspire plus que par un volontarisme autoritaire. Comme il tourne dans la continuité et que ses comédiens connaissent leurs personnages par cœur, il leur propose divers exercices. Il se contente de dire moteur et laisse ses comédiens improviser en toute liberté.

Seules les scènes de la caverne posent quelques problèmes. Pour qu'elles aient un caractère spontané et réaliste, qu'on y sente le plaisir des jeunes poètes à exercer leurs talents, il faut que les comédiens se lâchent.

L'un d'eux suggère que l'on lise des histoires de terreur: ils suivent l'idée et Peter Weir l'intègre au script. Un autre écrit un poème d'amour au dos d'une photo de Playmate, ce qui permet à ses camarades de se décoincer et de s'épancher en toute spontanéité.

Une scène dans la grotte tirée du "Cercle des poètes disparus". [Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]
Une scène dans la grotte tirée du "Cercle des poètes disparus". [Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]

La scène du suicide est également tournée dans la continuité, laissant les comédiens atterrés comme s'ils avaient réellement perdu un ami.

Peter Weir explique en 1989 dans The Movie Show: "La violence ou la mort sont difficiles à rendre à l'écran. Simplement parce que le téléjournal et les programmes d'information sont remplis d'horreurs. (...)

En tant que réalisateur, quand il faut montrer dans une scène de la violence ou la mort d'une manière ou d'une autre, je suis convaincu qu'il faut en montrer le moins possible. Parce que le public sait déjà ce qui va se passer. Il a déjà en tête des images horribles.

Dans le film, par exemple, il a perçu un geste, une intention, les sentiments des deux élèves de Keating les plus touchés par leur professeur. L'un, on voit qu'il est éveillé. L'autre prendra un autre chemin, plus tragique. C'est le cœur de l'histoire. Du moins, sa résolution. C'était donc extrêmement difficile à faire et à rendre ce suicide réel. Faire sentir que l'on a perdu quelqu'un à l'écran".

Chapitre 5
Sortie et récompenses

Collection Cinema / Photo12 via AFP

En juin 1989, puis plus tard en janvier 1990 en Europe, la critique se pâme pour "Le Cercle des poètes disparus". Son triomphe au box officie y est aussi pour quelque chose, même si il reste une énigme.

Car le film a tout contre lui. D'abord une date de sortie américaine au mois de juin, généralement réservée aux comédies sexy et aux films d'action où le muscle prend le pas sur l'intellect. Ensuite un titre terrifiant: "Le Cercle des poètes disparus", c'est long et sinistre. On imagine mal les teenagers yankees se préoccuper de poésie. Enfin un sujet impossible à résumer en quinze mots.

Si on ajoute encore que "Mosquito Coast", le film précédent de Peter Weir, avait été un magistral échec, on comprend que ce n'était pas vraiment gagné d'avance.

Mais lorsque le film sort face à "Batman", "Indiana Jones 3", "SOS Fantômes 2", le bouche-à-oreille, fonctionne immédiatement. "Le Cercle des poètes disparus" est un film d'une grande finesse, superbement émouvant. Tout le monde l'adore. On y va une fois. On y retourne. On repleure.

Le scénariste Tom Schulman est récompensé d'un Oscar. Le film reçoit encore le BAFTA de la meilleure musique pour Maurice Jarre, le César 1991 du meilleur film étranger et le Prix David di Donatello 1990 du meilleur film étranger.

Quant à Robin Williams, il se retrouve sur Hollywood Boulevard devant le Chinese Theater à vernir son étoile.

L'affiche du film "Le Cercle des poètes disparus" (Dead Poet's Society). [Touchstone Pictures / Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]
L'affiche du film "Le Cercle des poètes disparus" (Dead Poet's Society). [Touchstone Pictures / Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]

Deux routes s'offraient à moi, et là j'ai suivi celle où on n'allait pas, et j'ai compris toute la différence

Tiré d'un poème de Robert Frost cité dans "Le Cercle des poètes disparus"