"Ovni(s)", la nouvelle création de Canal+ en 12 épisodes de 30 minutes, se présente comme une série totalement loufoque mais basée sur des faits réels. On est à la fin des années, en 1977 exactement, date à laquelle la France se dote d'un Groupe d'étude des phénomènes aérospatiaux non-identifiés (GEPAN), une institution unique au monde, pour répondre à la nécessité d'étudier sérieusement, scientifiquement, les ovnis.
Car à cette époque, la France de Valéry Giscard d'Estaing est friande d'ufologie: avec son chignon Teletubbie, Raël - qui dit avoir parlé en français avec des extraterrestres - est invité sur tous les plateaux de télévision; le journaliste Jean-Claude Bourret s'est fait une spécialité des phénomènes paranormaux et tous ses livres sont des succès; l'enlèvement de Frank Fontaine par une soucoupe volante en 1979 fait la une des journaux et les frères Bogdanoff cartonnent avec leur Temps X. Surfant sur cette vague du paranormal, deux films pulvérisent le box-office: "Le gendarme et les extraterrestres (1979) et "Rencontres du troisième type" (1977).
"Ovni(s)", dont le premier épisode est diffusé lundi 11 janvier, explore précisément les paradoxes de cette décennie, à la fois vouée au progrès scientifique et attirée par les phénomènes paranormaux. "Nous aimions cette réjouissante confrontation entre la rationalité des Lumières et l'engouement pour les ovnis, cette époque ambivalente qui a une grande confiance en l'avenir mais qui connaît aussi les premiers signes du dérèglement climatique, les effets du choc pétrolier et une série de marées noires", explique Martin Douaire, co-scénariste avec Clémence Dargent, de cette série à l'humour très particulier, ni potache, ni burlesque, mais plutôt absurde, poétique et adorablement haut perché.
On a essayé de ne jamais se moquer, ni de l'époque, ni des situations. Nous voulions être en empathie avec le fantastique pour alimenter le doute, faire surgir le bizarre et provoquer des questionnements. Mais ce n'est pas non plus une critique du cartésianisme. Nous voulions éviter le manichéisme, faire dans la nuance.
Didier Mathure (Melvil Poupaud, extra et terrestre) se voit propulser à la tête du GEPAN alors qu'il ne connaît rien aux ovnis et qu'il se revendique comme un pur cartésien. Ses seuls ovnis sont ses enfants auxquels il ne comprend rien. A vrai dire, sa nomination relève de la punition: la fusée spatiale sur laquelle il travaillait depuis dix ans avec son ex-femme, Elise Conti (Géraldine Pailhas, magnifique), vient d'exploser après son décollage. Quant au GEPAN, il est très mal considéré par les "vrais scientifiques".
C'est donc méprisé par ses pairs et accompagné d'une équipe de bras cassés - ovnis eux-mêmes d'où le "s" du titre - que Mathure devra travailler sur les disparitions mystérieuses, les apparitions étranges et même sur une pluie de flamands roses tombés du ciel.
L'évolution du héros
Très bien dialogué et réalisé par Antony Cordier, "Ovni(s)" fourmille de références et d'idées charmantes, farfelues et poétiques, à l'instar de celle où le stagiaire croit avoir vu un vaisseau spatial en pleine nuit alors qu'il s'agit d'une boule à facettes tombée du camion de la tournée française de Jean-Michel Jarre.
On navigue entre humour, croyance et vérité. Le sel de la série, plus encore que son intrigue, tient à la collision entre le héros et les personnages secondaires contrastés et attachants.
Le duo de scénaristes dit avoir pris beaucoup de plaisir à travailler sur l'esthétique des seventies, "en particulier ce rapport très charnel aux objets, avant Internet et la dématérialisation". Cela se ressent dans le soin apporté aux détails, des costumes aux coiffures, en passant par la bande-son qui n'a peur de rien.
Au-delà de son côté vintage, la série interroge nos certitudes, notre place dans l'univers et notre rapport à l'ignorance, confronte science et croyance, met en équilibre convictions cartésiennes et désirs de merveilleux, le tout dans un esprit loufoque et optimiste, prompt à chasser le spleen, à défaut de petits hommes verts.
Marie-Claude Martin