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Bill Murray, la star imprévisible qui n'a ni agent ni attaché de presse

Le fantastique Mr Murray. [RTS]
Le fantastique Mr Murray. - [RTS]
L'acteur culte de "Lost in Translation" et de "Un Jour sans fin" est un être insaisissable, à la fois misanthrope, mélancolique, loufoque et cool. Bill Murray est surtout un homme partagé entre deux pôles: sa quête spirituelle et son humour qui ose tout, surtout le pire.

"Quelles sont les règles ici? D'accord, je vais les enfreindre", disait Groucho Marx. Bill Murray le dit et le fait. "Il ose toujours aller trop loin", disent de lui ses proches et ses ex-proches car l'homme semble cultiver l'art de se brouiller. Il ne rappelle jamais ses amis, pose des lapins à ses réalisateurs, jette dans les piscines les gens qui ne lui reviennent pas.

Nonchalance ou coolitude?

Misanthrope, grincheux, inquiétant parfois, mais aussi compassionnel, cultivé et suprêmement cool. Ce n'est qu'un des nombreux paradoxes de cet homme insaisissable qui a su devenir une star, sans agent, ni attaché de presse. C'est ce que montre "Le fantastique Mr Murray", le documentaire qui lui est consacré et à découvrir sur Play RTS.

Une boîte aux lettres chez l'épicier ou un simple répondeur lui suffisent pour répondre aux demandes qui lui sont faites. Il consulte son courrier mais, en général, ne donne jamais suite.

Je lui ai écrit, téléphoné, harcelé pendant un an. Finalement, il a dit qu'il réfléchirait mais sans jamais s'engager. J'ai commencé le tournage au Japon en espérant qu'il viendrait, et il est venu. Je n'avais pas de plan B.

Sofia Coppola, réalisatrice de "Lost in translation".

A vrai dire, au Japon, il y était déjà mais incognito. Il voulait se préparer à sa manière, en se perdant pendant des jours entiers dans Tokyo, comprenant que ce rôle dans le film "Lost in Translation" de Sofia Coppola pouvait être l'aboutissement d'une longue quête spirituelle, engagée bien des années avant.

Une adolescence à Chicago

Bien des années avant, il est né en 1950 à Chicago au cœur d'une famille ultra-catholique de neuf enfants. Adolescent, il se fait de l'argent de poche comme caddie dans le golfe huppé de l'Indian Hill Club, fréquenté par des riches WASP qui n'admettent les catholiques irlandais que comme employés. Bill connaît l'humiliation et s'en souviendra quand il jouera dans "Caddyshack" (1980), une comédie foldingue de son ami Harold Ramis. Il dit aussi que c'est sur ce green, face à tant de bêtise, qu'il a appris à rester stoïque dans n'importe quelle situation, y compris aux enterrements. A celui de son ami John Belushi, en 1982, il se chargera de l'éloge funèbre qui se terminera ainsi: "Il était ignoble, on ne le regrettera pas", manière pour lui de dissimuler sa tristesse.

A l'âge de 20 ans, fort d'une réputation d'élément incontrôlable par ses professeurs, il embarque à l'aéroport de Chicago avec vingt kilos de marijuana et fait croire à ses compagnons de voyage qu'il a aussi deux bombes dans ses bagages. Il passe son anniversaire au tribunal et annonce à ses parents son plan de carrière: "Lâcher la fac de médecine et passer sa vie à dealer et à voyager".

Au lieu de faire des conneries dans la vie, fais-les sur scène!

Le conseil de Brian Murray, déjà comédien, à son frère cadet Bill.

Son frère l'invite donc à intégrer la troupe du Second City, haut lieu de l'improvisation et de la satire politique, à Chicago. Il a comme maître Del Close, qui lui apprend à rebondir sur une phrase, un mot, une situation sans réfléchir. La devise du théâtre: oser offenser.

La troupe du Saturday Night Live

En 1974, Bill Murray part pour New York rejoindre le National Lampoon Radio Hour, émission de radio comique, avant de rejoindre trois ans plus tard les membres fondateurs de Saturday Night Live, dont John Belushi. Il se révèle au grand public avec cette émission hebdomadaire et le cinéma commence à s'intéresser à ce comique aux yeux tristes.

Mais c'est avec "SOS Fantômes" d'Ivan Reitman (1984), plus grand succès de l'année au box-office, qu'il décroche la timbale. Les producteurs ont compris que le public adolescent viendrait désormais remplir les salles, vidées par la télévision.

Ambition spirituelle

Après tant de comédies déjantées, Bill Murray se met en tête d'écrire l'adaptation du "Fil du rasoir" de Somerset Maugham, un roman d'apprentissage qui traite de la recherche de l'Absolu, de la sérénité, par un jeune pilote traumatisé par la guerre. Le projet lui tient à cœur mais le film, dans lequel il tient le rôle principal, est un échec critique et commercial.

Dépité, Bill Murray fugue en 1984 avec sa femme et ses enfants à Paris, où il étude la philosophie à la Sorbonne et fréquente la Cinémathèque. Il y découvre Buster Keaton, son maître en jeu minimaliste pour un maximum d'effets. "C'est la période la plus heureuse de ma vie", dira-t-il.

Un conte philosophique loufoque

A son retour aux Etats-Unis, il est grincheux, arrive en retard sur les tournages, boude les succès de deux suites de "SOS Fantômes". Il a mieux à faire, suivre l'enseignement de Georges Gurdjieff, un mystique philosophe dont la méthode consiste à passer à un état supérieur de conscience et d'atteindre son plein potentiel humain grâce à une triple technique, celle du fakir, du moine et du yogi.

Un film toutefois va réconcilier les deux Bill, celui qui doute et celui qui ose tout: "Un Jour sans fin" d'Harold Ramis, une comédie philosophique loufoque qui fait rejouer éternellement le même jour à un animateur de télévision odieux pour qu'il apprenne à devenir meilleur. Le film fait l'objet de l'émission "Travelling", sur La Première ce dimanche 2 mai.

La fin d'une amitié de jeunesse

Choisi par Harold Ramis par défaut – il aurait préféré Tom Hanks qui a décliné jugeant le personnage trop antipathique – Bill Murray veut réécrire le scénario alors que le tournage a commencé, arrive toujours en retard, engueule ses partenaires et provoque la production en disant améliorer ses rapports avec le groupe en choisissant une assistante sourde et muette. Il se brouillera définitivement avec Harold Ramis, son ami de jeunesse. Le film n'en est pas moins devenu culte, engrangeant d'années en années de plus en plus d'adeptes.

Fidèle de Wes Anderson

Malgré le succès de cette comédie, Bill Murray a perdu le goût du métier. Quelques courtes apparitions lui suffisent, notamment dans "Ed Wood" de Tim Burton. Et c'est en pleine dépression, en 1988, qu'il reçoit la lettre d'un jeune Texan, Wes Anderson, qui avait déjà essayé de le contacter pour son premier film, en vain. Il aime le personnage de Monsieur Blum, un homme qui ne tourne pas rond, le sait mais s'en arrange.

L'acteur accepte de jouer dans "Rushmore" (1989) pour un cachet dérisoire, 9000 dollars. Il sera par la suite dans tous les films de Wes Anderson, neuf en tout, dont le dernier "The French Dispatch" sera normalement sélectionné pour Cannes cette année.

Parmi ses films marquants, il y en aura quatre avec Jim Jarmush et un deuxième avec Sofia Coppola, "On the rocks" (2020), une comédie du remariage où il joue les détectives improvisés, coureur de jupons et papa poule – lui-même a six enfants.

L'invité surprise

Divorcé deux fois, dont la seconde dévasté par les accusations de sa femme, Bill Murray s'isole au gré de ses "marches thérapeutiques". En 2012, il laisse répandre une rumeur qui voudrait qu'il sillonne l'Amérique et se tape l'incruste au gré de ses rencontres. C'est une fake news mais le début d'une sorte de délire collectif auquel il se prête de bon cœur, s'invitant aux tables d'inconnus, débarquant dans des mariages, prenant le micro dans des karaokés de fortune ou jouant au golf, sa passion, avec Barack Obama dans le bureau ovale, comme en témoignent les dernières images de ce documentaire consacré à cet acteur imprévisible qui aura réussi à faire de sa mélancolie existentielle une force comique.

Marie-Claude Martin

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