Douglas Fairbanks, un nom qui n'évoque plus grand chose alors que l'acteur et producteur américain (1883-1939) a connu une célébrité mondiale, star avant les stars, suscitant l'hystérie des foules, en incarnant les personnages de Zorro, d'Artagnan, Robin des Bois, puis des héros exotiques comme le Pirate noir et le Voleur de Bagdad.
Un documentaire écrit à la première personne, et raconté par le comédien Laurent Laffite, ressuscite cette figure marquante du cinéma muet, à découvrir sur Play RTS jusqu'au 25 mai. Mais "Douglas Fairbanks: je suis une légende", de Clara et Julia Kuperberg, c'est aussi l'histoire d'une naissance, celle de l'industrie cinématographique auquel a tant contribué l'acteur, scénariste et producteur.
Hollywood ressemble à un campement
Quand Douglas Fairbanks débarque en 1915 à Hollywood, il n'y a quasiment rien sinon la volonté de quelques producteurs de cinéma, alors établis à New York, de s'installer en Californie pour profiter du climat et de ses décors naturels, de bénéficier d'une main-d'oeuvre bon marché et de terrains au prix très abordables.
Depuis qu'il a vu "Naissance d'une nation" de D.W.Griffith (1915) - "rien dans ma vie ne m'a procuré autant d'émotions" -, Douglas Fairbanks sait qu'il veut faire du cinéma. Il sait aussi qu'il dispose d'une arme redoutable, son sourire, dont il a pris conscience sur scène à Broadway un jour où, paralysé par un immense trou de mémoire, il s'est mis à sourire au lieu de s'excuser, bafouiller ou improviser. Le public lui a fait ce jour-là un triomphe.
Deux rencontres déterminantes
Arrivé dans ce qui n'est encore qu'un désert, il négocie un très bon contrat avec Triangles Films, le studio qui comptait les stars de l'époque. Il accepte tous les rôles même si les réalisateurs ne se battent pas pour l'avoir, certains même le refusent.
Ce type n'a aucun talent et en plus, il a une tête en pastèque. Qu'il fasse des galipettes chez Max Sennet!
Cela tombe bien, le public adore les cabrioles de ce jeune premier athlétique, natif du Colorado, qui croyait profiter des palmiers de Californie et qui au lieu de cela travaille sans relâche. "Le Timide", où il joue un empoté qui se révèle héros à la fin, le propulse illico au sommet. En 1916, il tourne douze films qui sont autant de succès. Il les aime tous, sauf un, "When The Clouds Roll By", de Victor Fleming, une parodie de Sherlock Holmes qui se shoote à la cocaïne et qui pique les autres quand il n'a pas le moral. Douglas Fairbanks a même voulu l'interdire. Des années plus tard, le film est devenu culte.
Mais surtout, en 1916, le jeune homme fait deux rencontres cruciales, avec les deux stars d'Hollywood les mieux payées: Mary Pickford - surnommée "la petite fiancée de l'Amérique" et considérée comme la sixième merveille des Etats-Unis, entre le grand Canyon et les chutes du Niagara - et Charlie Chaplin qui deviendra son ami.
Le roi du monde
Le trio sera appelé en 1918, sur la demande du président Wilson, à parcourir le pays afin de vendre des coupons de soutien à l'engagement des USA dans la Première Guerre mondiale. A eux trois, ils lèvent 3 millions de dollars, une somme énorme pour l'époque.
Les trois acteurs ont le vent en poupe et décident de fonder leur propre studio, United Artists, pour échapper au contrôle des grands studios et conserver leur indépendance. Douglas Fairbanks devient une star et plusieurs films ne sont écrits que pour le mettre en valeur: "Douglas Fairbanks dans la lune", "Douglas Fairbanks au pays des mosquées", etc.
A 37 ans, il est le roi du monde, d'autant qu'il vient d'épouser, après leurs divorces respectifs, celle qu'il chérit depuis leur rencontre, Mary Pickford. A eux deux, installés dans leur grande maison de Beverly Hills baptisée PickFair - la plus visitée après la Maison Blanche -, ils forment le couple royal que l'Amérique n'a jamais eu. Ils reçoivent dans leur propriété écrivains, artistes, hommes politiques, têtes couronnées. Leur notoriété est mondiale. Lors de leur lune de miel en Europe, ils vont la mesurer à leur corps défendant.
A Paris, les gens hurlaient sur notre passage et voulaient toujours nous toucher. Le temps d'arriver à l'hôtel, nos vêtement étaient en lambeaux.
Grâce à la liberté acquise avec United Artists, Douglas Fairbanks change de répertoire. Sur les recommandations de Mary Pickford, il endosse le rôle de Zorro. C'est lui qui aura l'idée de faire signer le héros masqué de la pointe de son épee. Batman et Superman sont les héritiers directs de sa composition. Le film est un immense succès et installe Douglas Fairbanks dans des personnages de héros idéalistes qui sauvent les opprimés. Suivront Robin des Bois, d'Artagnan, le Pirate noir, tous tournés dans des décors majestueux, aux effets spéciaux déjà sophistiqués à l'instar du "Voleur de Bagdad" de Raoul Walsh.
L'acteur et producteur investit son argent pour honorer ses projets pharaoniques. Et pour se rembourser en partie, Douglas Fairbanks a une idée de génie: faire payer aux curieux la visite de ses studios. C'est lui aussi qui inventera ce qui deviendra un storyboard; lui qui sera à l'origine de la cérémonie de Oscars; lui encore qui, avec Mary Pickford, inaugurera le Walk of Fame.
La fin du muet
Son ascension fulgurante n'a d'égale que la rapidité de sa chute. La fin du muet sonnera le glas de sa carrière. Sa "Mégère apprivoisée", film parlant avec Mary Pickford, en 1929, est un échec. Il en tournera encore trois autres, trois "bides". Le public ne veut plus de lui. Le couple mythique du cinéma muet se sépare. Fairbanks épouse une aristocrate avec laquelle il fera plusieurs tours du monde avant de mourir d'une crise cardiaque en 1939. "Si c'était à refaire, je ferai tout pareil", disait cet homme sans amertume ni regret sauf celui de ne pas s'être réconcilié avec Mary Pickford, le grand amour de sa vie.
Marie-Claude Martin