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John Wayne, un mythe du cinéma qui avait l'Amérique trop dans la peau

John Wayne dans "Rio Bravo" (1959) d'Howard Hawks. [AFP - WARNER BROS/Photo12]
John Wayne dans "Rio Bravo" (1959) d'Howard Hawks. - [AFP - WARNER BROS/Photo12]
Un documentaire diffusé sur la RTS revient sur l'impressionnante carrière de l'acteur mythique John Wayne qui n'a eu de cesse d'interpréter les héros indomptables et autres figures patriotiques. Reflétant jusqu'à l'excès les valeurs conservatrices de l'Amérique.

"C'est l'histoire d'un homme qui gravit un à un les échelons d'Hollywood, jusqu'à devenir l'acteur américain le plus populaire de son époque. C'est l'histoire d'une star devenue l'incarnation absolue de son pays, de sa légende, et qui va peu à peu basculer dans une obsession patriotique. C'est l'histoire d'un personnage qui semble tailler d'un seul bloc, un cowboy indomptable et sûr de lui, un monument de force et de virilité qui se voit rattraper par ses fêlures et ses dérobades. C'est l'histoire de John Wayne. C'est une histoire américaine".

Ainsi débute le documentaire "John Wayne, l'Amérique à tout prix" de Jean-Baptiste Péretié, qui retrace l'impressionnant parcours d'un acteur ayant incarné jusqu'à l'excès les valeurs conservatrices des Etats-Unis. Mais qui, de "La chevauchée fantastique" à "L'homme qui tua Liberty Valance", de "La rivière rouge" à "Rio Bravo", est devenu un véritable mythe. Mais que peut-il bien se cacher derrière la légende, interroge le film à travers extraits de films et images d'archives.

L'assistant accessoiriste qui gravit tous les échelons

L'acteur américain né Marion Morrison en 1907 a débuté au temps du muet, tout en bas de l'échelle hollywoodienne, comme troisième assistant accessoiriste sur les tournages de John Ford. Le réalisateur lui offre d'ailleurs ses premières apparitions et figurations au cinéma. Une simple silhouette qui ne se nomme pas encore John Wayne mais se fait appeler Duke.

A 22 ans, il se voit confier par Raoul Walsh le rôle principal dans "La piste des géants" (1930) et pense que la chance lui sourit enfin. C'est ses débuts sous le patronyme de John Wayne qui a été choisi pour lui par les studios de la Fox. Mais le film à très gros budget est un échec commercial fracassant et l'acteur un peu gauche et nasillard en devient le coupable tout trouvé. John Wayne se rêvait star, mais se voit déjà cramer, redescendant à l'étage des séries B pendant une dizaine d'années. Un travail de forçat davantage que d'acteur. Un purgatoire alimentaire d'où un classique du western va heureusement l'extirper.

Le mentor John Ford

Le tournant de la carrière de John Wayne se produit ainsi en 1939 quand John Ford le fait jouer dans "La chevauchée fantastique", où il irradie. Le réalisateur lui remet le pied à l'étrier et l'acteur n'aura de cesse de répéter: "je lui dois tout". A partir de ce film, sa démarche chaloupée et son jeu enfin nuancé vont connaître une ascension fulgurante. Après la Seconde Guerre mondiale, et jusqu'en 1975, The Duke (surnom donné par John Ford) va souvent caracoler en tête du box-office, jusqu'à se fondre avec la légende même de l'Ouest.

En contrepoint de cette gloire acquise par l'acteur incertain, le documentaire souligne une blessure intime de John Wayne, celle de son non-engagement pendant la Seconde Guerre mondiale - contrairement à des stars comme Clark Gable ou James Stewart - pour consolider sa carrière enfin montante. Un remord, voire une honte, qu'il compense en jouant les héros invincibles et guerriers, les patriotes héroïques défendant des valeurs ultra-conservatrices jusqu'à la caricature. Et jusqu'à devenir l'étendard même de l'armée US, où un acte de bravoure était défini comme "faire une John Wayne", avant que son conservatisme aigu ne soit définitivement trop embarrassant à l'heure du flower power.

Le futur zélé serviteur du maccarthysme pendant la guerre froide a ainsi failli voir son rêve américain virer au cauchemar. Quand son mentor John Ford lui reproche par exemple de ne pas s'être engagé et va jusqu'à l'humilier sur le plateau de son grand film sur la guerre, "Les sacrifiés" (1945).

L'acteur américain John Wayne dans le film "Les géants de l'ouest" (1969) de Andrew McLaglen. [AFP - TWENTIETH CENTURY FOX / Collection ChristopheL]
L'acteur américain John Wayne dans le film "Les géants de l'ouest" (1969) de Andrew McLaglen. [AFP - TWENTIETH CENTURY FOX / Collection ChristopheL]

Vingt-cinq ans au sommet du box-office

Il aurait pourtant rempli un dossier pour s'enrôler dans l'armée pour lequel il n'aurait soi-disant jamais obtenu de réponse. Reste que son choix de rester à Hollywood durant la guerre a payé. Il est devenu l'un des acteurs américains les plus populaires aux yeux du public et les plus rentables pour les studios. Débute alors pour lui un âge d'or et, en l'espace de quelques années, il enchaîne les grands films tout en changeant de visage à chaque nouveau rôle: "Le réveil de la sorcière rouge" (1948) d'Edward Ludwig, "La rivière rouge" (1948) d'Howard Hawks, "Le massacre de Fort Apache" (1948), "Le fils du désert" (1948), "La charge héroïque" (1949), "Rio Grande" (1950) et "L'homme tranquille" réalisés par John Ford. Avant d'atteindre des sommets dans "Rio Bravo" (1959), le chef d'oeuvre d'Howard Hawks où son charisme fait merveille, comme trois ans plus tard dans "L'homme qui tua Liberty Valance" (1962) de John Ford.

John Wayne va ainsi occuper les devants du box-office à partir des années 1950 jusqu'au milieu des années 1970. As de la gâchette et bourreau des coeurs, l'acteur est même célèbre en Union soviétique. C'est une icône américaine qui incarne son pays à lui seul, qui contribuera à dénoncer les communistes durant la croisade que mena le sénateur Joseph McCarthy et s'enfermera dans son obsession patriotique pour longtemps. Jusqu'à voir sa propagande conservatrice délogée par la vague hippie et John Wayne de devenir l'antithèse d'une Amérique entrée sur la voie progressiste, multiculturelle, multiraciale. Peu à peu, John Wayne devient peu à peu une forme d'anachronisme, qui qualifie des films modernistes et dans l'air du temps comme "Easy Rider" ou "Macadam Cowboy" et leurs anti-héros de "pervers".

Le monde moderne rattrape le cowboy anachronique

Si l'acteur parvient encore à se distinguer parfois ("Cent dollars pour un shérif" de Henry Hathaway, 1969) , l'homme a touché le fond par ses déclarations racistes et homophobes. Quand par exemple en 1971 dans le magazine Playboy il déclare croire "en la suprématie blanche tant que les Noirs ne seront pas formés au point de pouvoir exercer des responsabilités".

Atteint d'un cancer, ce fumeur invétéré qui s'allumait une cigarette entre chaque prise sur un plateau, est décédé le 26 mai 1979 à l'âge de 72 ans. Dans "Le dernier des géants" (1976) de Don Siegel, son ultime film, il joue presque son propre rôle, celui d'un vieux cowboy atteint d'une maladie incurable et dépassé par le monde moderne. Comme si ce mythe du cinéma, cette figure paternelle qui avait l'Amérique un peu trop dans la peau, avait voulu rester en phase avec lui-même jusqu'au bout.

Olivier Horner

"John Wayne, l'Amérique à tout prix", à voir sur Play RTS jusqu'au 31 mai.

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