"Z" de Costa-Gavras, réquisitoire contre les dictatures
Grand Format
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Reggane films / Office national / Collection ChristopheL via AFP
Introduction
Sorti en 1969, "Z", de Costa-Gavras est un thriller politique, un film à suspense et d’action qui touche au cœur des révolutions, manifestations, dictatures et assassinats politiques qui émaillent les années 1960.
Chapitre 1
Un film sans concession
"Z", film sombre qui secoue les consciences à sa sortie en 1969, est l’adaptation du roman de Vassilis Vassilikos qui raconte l’histoire vraie de l’assassinat du député grec Grigoris Lambrakis en mai 1963.
En grec Zêta est l’initiale de Zi qui signifie "il vit", ou "il est vivant". Une lettre écrite sur les murs des cités grecques pour protester contre cet assassinat. Z, comme symbole d’une vie plus forte que la mort, d’une liberté plus solide que la violence, de l’espoir qui reste malgré la menace. "Z" est à la fois un film à suspense et un film d’action.
Transposé dans un autre pays, sans mention effective de la Grèce, le film marque les esprits. Par son rythme haletant, par les stars qui se succèdent à l’écran: Yves Montand en tête, Jean-Louis Trintignant, Irène Papas, ou encore Jacques Perrin qui est également le producteur du film.
"Z" est imaginé et écrit alors que la Grèce bascule dans le régime des colonels qui fait suite au coup d'Etat du 21 avril 1967. Une véritable dictature fomentée en sous-main par les Etats-Unis pour lutter contre le communisme.
Ainsi, la politique rattrape la fiction et offre un éclairage particulier à "Z" et à Costa-Gavras. Pour la bande-son, le réalisateur choisit d'ailleurs des musiques de Míkis Theodorakis, compositeur grec emprisonné et ostracisé par la dictature en place.
Chapitre 2
Enquête sous haute tension
Reggane films / Office national / Collection ChristopheL via AFP - REGGANE FILMS / OFFICE NATIONAL
L'histoire se déroule dans les années 1960 dans un contexte de la guerre froide et prend place dans un pays méditerranéen qui ressemble à la Grèce. La police et la gendarmerie luttent par tous les moyens contre les mouvements jugés subversifs qui rongent les valeurs patriotiques.
Tous les mouvements dont le nom finit en -isme seront surveillés, dénoncés, éliminés si besoin, à savoir: communisme, anarchisme ou pacifisme.
Dans une ville du nord du pays arrive le Docteur, un député et chef de l’opposition parlementaire qui vient donner une conférence en faveur du désarmement nucléaire. Avant même de prendre la parole, des heurts éclatent en ville entre les partisans du Docteur et les contre-manifestants. Un député, membre du même parti que le Docteur, est tabassé.
La conférence se fait sous tension. A la fin de celle-ci, le Docteur, traverse la place et se fait renverser et assommer par un triporteur. Il s’écroule puis est transporté à l’hôpital où il décède.
La préfecture publie un communiqué officiel précisant qu’il s’agit d’un accident, malheureux, perpétré par deux ivrognes. C'est un jeune juge d’instruction qui est chargé de l’enquête. Bien que n’ayant aucune sympathie pour les gauchistes, il mène celle-ci avec intégrité et se rend rapidement compte que l’accident n’en est pas un. C’est un assassinat, orchestré par les membres d’une organisation d’extrême droite.
Alors qu’on lui demande d’étouffer l’affaire, le jeune juge comprend que tout a été prémédité par les commandants de la gendarmerie de la région, impliquant même les plus hautes autorités de l’Etat.
Le magistrat ne lâche rien. Un procès à lieu, clément pour les prévenus. Le verdict indigne la population et le gouvernement démissionne. Des élections ont lieu et les militaires en profitent pour prendre le pouvoir.
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Chapitre 3
Costa-Gavras troublé par la lecture du roman "Z"
Ina via AFP - Bernard Allemane
En 1967, Costa-Gavras sort de l’échec d’ "Un homme de trop", son film sur la Résistance. C’est dans l’avion, au cours de son voyage de retour de Grèce qu’il lit "Z" de Vassilis Vassilikos. Le réalisateur est embarqué malgré lui dans l’histoire.
Il écrit dans ses mémoires: "Je découvre au fil des pages les détails d’un assassinat que je ne connais que très vaguement. Des assassinats, dans la Grèce d’après-guerre, il y en a eu pour tous les goûts, politiques, crapuleux, extrémistes. Celui-ci est d’une nature inédite. L’enquête est passionnante, avec des découvertes imprévisibles, des personnages d’une vérité poignante. Une première secousse, puis une deuxième, et un arrêt, nous sommes arrivés. Je me lève, mécontent, troublé par cette lecture. J’émerge d’un monde insoupçonné, d’un monde plus humain, trop humain du fait de l’iniquité de son appareil d’Etat et de la trahison de toute éthique."
Ce roman passionnant raconte l’assassinat du député grec Grigoris Lambrakis en mai 1963, organisé par des éléments de la police et de la gendarmerie et camouflé au départ en accident. Costa-Gavras veut en faire un film. Vite, car dans le même temps, en Grèce, sa patrie d’origine, des militaires grecs ont renversé le gouvernent et pris le pouvoir, nourris par la peur du communisme et instrumentalisés par les Etats-Unis.
Ce régime des Colonels est immédiatement reconnu par les Etats démocratiques. Le régime autoritaire verrouille le pays, impose ses lois, provoquant l’exil du roi, mettant le peuple sous tension jusqu’en 1974.
Costa-Gavras discute de "Z" avec son ami écrivain José Semprun qui lui dit tout simplement: "Faisons le film". Pas si simple. Il faut en discuter les droits. Son auteur, Vassilis Vassilikos, a fui la Grèce et vit à Rome. On va le voir, il accepte sans hésiter. Il faut trouver un producteur. Costa-Gavras obtient une avance de United Artists. Reste à écrire le scénario. Jorge Semprun est très sollicité. Les deux hommes partent à la campagne.
Pendant cinq semaines, ils apprennent à travailler ensemble. C’est leur première collaboration. Costa-Gavras pose la trame, Semprun écrit les dialogues. L’écriture du scénario prend forme entre le flipper au bistrot du village, le café, les clopes et les tartines.
Chapitre 4
Un film politique qui fait peur
Collection ChristopheL via AFP
Le scénario de "Z" est prêt. Il faut maintenant trouver les acteurs. C’est Costa-Gavras qui commence à donner le scénario de "Z" aux comédiens avec qui il a déjà travaillé. Yves Montand, François Perrier, Jacques Denner disent oui, Jean-Louis Trintignant aussi. Irène Papas, Pierre Dux, Magali Noël, Julien Guiomar rejoignent l’équipe.
En janvier 1968, le casting est au complet. La United Artists, d’abord preneuse, s’effraie et se retire à la lecture du scénario, qu'il juge trop politique. Personne ne veut produire le film. Mais si le sujet est difficile, il est toutefois indispensable et s’inscrit dans une époque où les dictatures et la guerre froide occupent le haut de l’actualité.
Comme tout le monde refuse de produire le film, c’est finalement le comédien Jacques Perrin qui endosse un nouveau rôle, celui de producteur et qui évoque l’Algérie pour y tourner, car il est évident qu’on ne pourra pas faire "Z" en Grèce.
Sur place, Jacques Perrin et Costa-Gavras rencontrent le ministre de l’information Mohamed Seddik Benyahia. "Pourquoi un thriller s’il s’agit d’une histoire vraie?" demande le ministre curieux. "Parce que la forme du thriller fait monter au mieux le fond de la réalité, selon Victor Hugo", lui rétorque le cinéaste.
"Vous pouvez faire votre film chez nous", dit ensuite le ministre. Nous vous donnerons nos techniciens, le matériel de prises de vues, toutes les autorisations, les séjours dans les hôtels, mais pas d’argent car nous n’en avons pas."
"Nous nous sommes mis en mouvement à une vitesse folle, se remémore le réalisateur, déployant une énergie diamétralement opposée à celle vécue durant les mois d’attente, de refus, ou d’indifférence polie, où nous allions de déception en déception, obligés d’écouter les conseils désespérants de tous ceux qui ne croyaient pas au film et banalisaient notre rêve."
La vitesse folle dont fait mention Costa-Gavras, cette émulation, cette envie d’avancer, de raconter, se retrouve dans le rythme du film. Un rythme, une énergie à laquelle personne n’échappe. "Z" est porté par le réalisme, devenant film étendard mondial de la liberté et du droit. Un camouflet aux dictatures qui sont nombreuses dans le monde à la fin des années 1960.
Nous sommes à la mi-juin 68, tandis que la préparation de "Z" se poursuit à Paris, à Alger on construit, on repère des décors, on engage des centaines de figurants.
Pour les figurantes, c’est plus compliqué. Il n’y aura pas d’Algériennes. Des Anglaises, des Françaises, et autres touristes feront l’affaire.
Un seul décor pose problème, la place où doit se dérouler la manifestation. Elle est au centre d’Alger, plusieurs rues s’y croisent, il faudra la bloquer dix nuits de 18 heures à 4 heures du matin.
Pour l’image, Costa-Gavras approche Raoul Coutard, l’homme de la Nouvelle Vague. Lui seul pourra donner la couleur documentaire à ce polar. Il accepte sans hésiter. C’est un ancien de la guerre d’Indochine qui, pour Costa-Gavras se révèle être un formidable compagnon de travail.
Le tournage commence à l’été 1968. Costa-Gavras a, autour de lui, une équipe soudée. Par amitié et solidarité, Jean-Louis Trintignant accepte un petit cachet. Il lui dit même: "tu me proposes un tel rôle, que je le ferai gratuitement". Yves Montand accepte de jouer en participation. Toutes et tous mouillent la chemise.
Chapitre 5
Nombreuses récompenses
Une fois le film terminé, on organise des projections presse. Les journalistes sortent sans un mot.
Le réalisateur écrit dans ses mémoires: "Des gens de gauche veulent voir le film. Michael Rocard, Roger Garaudy, Aragon a voulu me voir, j’étais absent, je l’ai raté. A défaut d’Internet, de réseaux sociaux et autres, on pratique l’affichage sauvage: repérages dans la journée, expédition dans la nuit. Michèle, Perrin, sa sœur Eva, Hafid, un ami marocain et moi, un seau de colle, des gros pinceaux, nous collons pendant plusieurs nuits des centaines d’affichettes avec un Z. intriguant. Cela fait parler. Une semaine avant la sortie du film, apparaît alors la grande affiche avec les noms des interprètes et toujours le Z. Le mystère de l’affichette était levé.
La première semaine n'est pas très bonne, mais à partir de la deuxième, le succès est au rendez-vous. "Les spectateurs applaudissent en fin de séance et dans toutes les salles de France. Le film devient le phénomène de l’année de la production française. Pour une frange critique, le succès était suspect, hérétique. Cela n’a pas empêché "Z" de poursuivre sa relation avec le public, en France et ailleurs dans le monde", explique le réalisateur qui est aux anges. Il est propulsé comme le symbole d’un nouveau cinéma politique.
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Quand on lui demande s’il a voulu faire un film politique, Costa-Gavras répond en nuançant: "Politique est un mot terrible qui traîne derrière lui de mauvaises choses. Politique peut faire songer aux politiciens, à ceux-là même qui ont trempé dans l’assassinat de Lambrakis. "Z" est surtout un film sur la difficulté de vaincre certains obstacles pour que la vérité éclate et sur celle qu’éprouvent pour exister et s’imposer les hommes politiques valables. "Z" est le premier de mes films qui me concerne profondément. Il met en cause ce que j’ai vécu, ce que je vis. Il est entièrement dans notre époque et mêlé à ce qui nous touche dans le monde, tous les jours. Ce qui se passe dans la Grèce des colonels se passe, ou s’est passé ailleurs: par exemple en Espagne, en Argentine au Brésil, partout où le pouvoir s’attaque aux libertés essentielles de l’homme. Après avoir fait Z, j’ai envie pour mon prochain film de rester dans la même ligne."
Et ce sera, un an après, "L’Aveu". Car le succès de "Z", qui ne s’essouffle pas, propulse le réalisateur et les producteurs lui ouvrent leurs portes.
Au Festival de Cannes 1969, "Z" reçoit le Prix du jury à l'unanimité et le Prix d'interprétation masculine pour Jean-Louis Trintignant. Deux Oscars lui sont décernés: celui du meilleur film en langue étrangère pour le compte de l'Algérie et celui du meilleur montage pour Françoise Bonnot. Il est aussi récompensé par le Prix Raoul Lévy et par bien d'autres encore.
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