Agnès Varda, réalisatrice française du film "L'une chante, l'autre pas". [AFP - © Roger-Viollet]
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Quand le cinéma libère les femmes

>> Proies, victimes, idoles, éléments de décoration: autant de rôles joués par les actrices au cinéma. Le grand écran parviendra-t-il un jour à libérer les femmes du patriarcat?

>> A l'occasion de la Grève des femmes du 14 juin, tentative de réponse à travers six films qui ponctuent, chacun à leur manière, le long chemin à parcourir pour changer le regard porté sur la moitié féminine de l’humanité.

>> Ces quelques films sont pensés et réalisés par des femmes et des hommes, tournés en France, en Nouvelle-Zélande, en Italie et aux Etats-Unis. Qu'ils soient des drames, des comédies, des films à petit budget ou à grand spectacle, ils ont chamboulé nos esprits et contribué à changer le regard de la société sur les femmes.

Isabelle Carceles/ms

"La fiancée du pirate"

Nelly Kaplan, 1969

C'est l'histoire d'une sorcière des temps modernes qui n'est pas brûlée par les inquisiteurs, car c'est elle qui les brûle.

Nelly Kaplan

Dès la Nouvelle Vague, en 1969, on observe des remous dans le paysage cinématographique: Nelly Kaplan n'est pas la première réalisatrice de l’histoire du cinéma, mais c'est elle qui va planter la première un drapeau noir orné d’une tête de mort sur l’écran blanc avec "La fiancée du pirate".

La chanson de la bande-annonce, "Moi je m'balance", est signée Georges Moustaki et interprétée par Barbara. Impertinente, elle illustre le scénario du film qui raconte la vengeance de Marie, jouée par Bernadette Lafont. Après le décès de sa mère, Marie rejette son destin misérable et règle ses comptes avec les habitants de son village, peuplé de notables et de paroissiens hypocrites. En exploitant leurs faiblesses et en utilisant son corps, elle dénonce la malveillance et la cupidité de toutes et tous.

Le film fait scandale et une certaine France est choquée, les féministes aussi, ne pouvant supporter la liberté de cette "sorcière" moderne, assumant son goût pour le plaisir, l'argent et la provocation. Le long-métrage interdit aux moins de 18 ans, féministe et libertaire, a été diffusé dans le monde entier et est devenu culte.

"L'une chante, l'autre pas"

Agnès Varda, 1977

Agnès Varda, cinéaste française, est née trois ans avant Nelly Kaplan, en 1928. Dès son premier film, tourné en autodidacte, elle se rebelle contre les distinctions habituelles faites entre le documentaire et la fiction. La réalisatrice aime les deux, et elle le montrera amplement au cours de sa longue carrière. Quand le film "L’une chante, l'autre pas" sort en 1977, on assiste à un joyeux mélange.

Le film raconte l'histoire de l'amitié entre Pauline et Suzanne, deux jeunes femmes féministes, entre 1962 et 1976. Avec son goût pour l'improvisation et le bricolage, Agnès Varda livre au spectateur un film musical, coloré et rempli d'énergie post-soixante-huitarde.

"Bagdad Café"

Percy Adlon, 1987

On est en 1987, et c’est un ovni qui sort sur les écrans: on se retrouve dans une zone désertique des Etats-Unis, à bord d’une Mercedes conduite par un homme qui écoute très fort de la musique bavaroise.

Bienvenue au "Bagdad Café", un motel poussiéreux qui regarde passer les gros camions le long de la Route 66. L’établissement est tenu par Brenda, une patronne afro-américaine surmenée et amère. Elle voit d’un mauvais œil l’arrivée d’une femme grosse, suante, décoiffée et qui ne parle pas anglais. Il s'agit de la Bavaroise Jasmine Münchgstettner, interprétée par Marianne Sägebrecht. Sous son embonpoint et son air interloqué se cache une magicienne. Elle va non seulement changer complètement de vie, mais tout changer autour d'elle aussi.

Une ambiance unique traverse ce film, grâce à la présence attentive et silencieuse de la protagoniste, Jasmine, mais aussi grâce à la musique, qui joue un rôle actif. Autant la fanfare bavaroise nous agresse et prend toute la place, autant par petites touches les notes s’installent et créent de l’espace et de l’émotion, là où il n’y en avait pas. "Bagdad Café" est un conte de fées où une apprentie magicienne gagne le cœur d’une sorcière épuisée, et où toutes les deux s’inventent une autre vie, une vie nouvelle.

"La leçon de piano"

Jane Campion, 1992

Sorti en 1992, "La Leçon de piano" est un grand jalon dans l'histoire du cinéma au féminin. Il permet à sa réalisatrice, Jane Campion, d'être la première femme récompensée d’une Palme d’or. Son personnage, une pianiste muette à l'indomptable volonté, marquera les mémoires. Au 19e siècle, la veuve Ada MacGrath est envoyée en Nouvelle-Zélande avec sa fille pour y épouser un colon, Alistair Stewart. Muette, son seul moyen d'expression est son piano.

Son mari échange l'instrument contre des terrains avec Baines, un homme illettré proche des Maoris. Pour récupérer son piano, Ada va devoir se livrer à des échanges de nature particulière...

"Pane e Tulipani"

Silvio Soldini, 2000

L'Italo-Suisse Silvio Soldini connaît en 2000 un grand succès avec "Pane e Tulipani" ("Du pain et des tulipes"), dans lequel apparaît l'actrice Licia Maglietta dans le rôle de Rosalba. Son mari et ses enfants l'oublient dans un restauroute. Quand le bus repart après la pause pipi, personne ne s’aperçoit qu'elle n’est pas remontée à bord. C’est le début de la cavale de cette femme au foyer. Comment Rosalba, la quarantaine peu assurée, n'ayant jamais vécu par elle-même, va-t-elle conquérir sa liberté? Va-t-elle surmonter ses remords en laissant derrière elle son mari infantile et colérique?

La voilà à Venise, qu'elle a toujours rêvé de connaître, mais une Venise des petites gens, en-dehors des circuits touristiques. Tout est possible dans le film "Pane e Tulipani": Rosalba va se trouver un logement dans une ville surpeuplée, un travail alors qu'elle n’a aucune qualification, des amis et un amoureux en la personne pleine de prestance de Bruno Ganz, alias Fernando Girasole, serveur de son état. Il possède un accordéon dont Licia Maglietta, alias Rosalba, sait très bien jouer…

"Portrait de la jeune fille en feu"

Céline Sciamma, 2019

Deux jeunes femmes se rencontrent. A priori tout les sépare: d’un côté Marianne, la peintre, libre, et de l’autre Héloïse, son modèle, prisonnière de son château, de sa mère, des conventions sociales et d’un mariage forcé. Une rencontre incandescente, au sens figuré et au sens propre. Comme toutes les sorcières évoquées jusqu'à présent, la jeune fille du film prend feu lors d’une ronde de femmes, en pleine nuit, sur un fond de musique lancinante.

Pour clore son film, Céline Sciamma a choisi "Les Quatre Saisons" de Vivaldi, dans une scène marquante: pendant un concert, dans un théâtre à l’italienne, nous observons le visage incroyablement expressif d’Adèle Haenel, qui joue la modèle involontaire du portrait. Son visage ressemble à un champ de blé sous l’orage, traversé d’émotions et d’une humanité poignante.

>> A écouter, l'émission "Années lumière" :

Agnès Varda, réalisatrice française du film "L'une chante, l'autre pas". [AFP - © Roger-Viollet]AFP - © Roger-Viollet
des films qui libèrent les femmes (ou qui essaient). / Années lumière / 78 min. / le 13 juin 2021