Dans le film "Médecin de nuit", le héros a 24 heures pour changer de vie

Le réalisateur français Elie Wajeman à Paris le 7 janvier 2021. [AFP - JOEL SAGET]
L'invité: Elie Wajeman, "Médecin de nuit" / Vertigo / 27 min. / le 11 juin 2021
Impliqué dans un trafic de médicaments et pris en étau dans sa vie sentimentale, un médecin engage une course contre la montre pour sortir de son chaos. "Médecin de nuit", film très noir d'Elie Wajeman, révèle un Vincent Macaigne charismatique.

"Médecin de nuit", troisième long-métrage du réalisateur français Elie Wajeman ("Alyah" et "Les Anarchistes") avait été sélectionné en compétition officielle de Cannes 2020, édition annulée pour cause de Covid. Précédé d'excellentes critiques, ce film noir et immersif au rythme soutenu sort finalement ce mercredi.

Mikaël est médecin. Il soigne des patients de quartiers difficiles, mais aussi ceux que personne ne veut voir: les toxicomanes. Un homme dévoué à ses patients mais qui s'est perdu en route. Sa vie est un chaos, entre une épouse qui l'aime mais qui le met au pied du mur, ses deux filles qui ont besoin de lui et sa maîtresse toxique dont il ne peut se passer. Sans compter son cousin pharmacien qui l'a embarqué dans un dangereux trafic de fausses ordonnances de Subutex, produit de substitution destinés aux toxicomanes.

Humain, trop humain, Mikaël n'en peut plus de vivre l'enfer et décide de reprendre son destin en main. Il n'a qu'une nuit pour le faire.

Un médecin comme Batman

S'il soulage les toxicomanes, Mikaël est lui-même accro. Accro à la nuit, cet espace temps en dehors des injonctions diurnes qui permet d'entrer dans l'intimité des gens mais aussi de laisser parler la violence. "Je n'ai pas d'ambition sociologique. J'ai filmé le médecin comme un détective, un personnage hautement romanesque. J'avais à l'esprit Batman, mon héros préféré, gardien de la nuit mais ambigu, tourmenté", explique Elie Wajeman à la RTS.

Pour incarner ce saint des toxicos, cet humaniste qui a dérivé, cet homme divisé en deux, voire en trois, il fallait un comédien au large spectre. Avec sa sempiternelle veste en cuir et sa trousse usée à la corde, Vincent Macaigne est éblouissant de subtilité et de charisme. Il est accompagné dans sa ronde de nuit par Sara Giraudeau et Pio Marmaï.

Vincent Macaigne et Sara Giraudeau dans "Médecin de nuit". [Copyright Partizan Films]
Vincent Macaigne et Sara Giraudeau dans "Médecin de nuit". [Copyright Partizan Films]

Avec une unité de temps et de lieu, "Médecin de nuit" explore les quartiers méconnus de Paris, ceux des immeubles construits entre les années 1960 et 1980, offrant ainsi une troisième unité, esthétique celle-ci, et recomposant un Paris unique, moderne, presque fantastique.

Mais surtout, la nuit met en valeur un élément architectural important pour tout cinéaste cinéphile: les fenêtres. Quand elles sont allumées, elles sont comme une invitation à pénétrer dans l'intimité des gens. Ce que fait Mikaël à longueur de nuit sans savoir ce qui l'attend. Scénaristiquement, c'est une source de suspense, de tension, d'alternance entre des moments doux et d'autres très violents.

Je suis ému par les fenêtres, par la vie qui se cache derrière. Je fais des films pour cela: voir ce qui se passe derrière les fenêtres.

Elie Wajeman, réalisateur de "Médecin de nuit".

Grand travail documentaire

S'il revendique le romanesque, Elie Wajeman s'est beaucoup documenté pour rendre crédible son film, notamment en accompagnant pendant des semaines les médecins dans leur tournée, mais aussi en creusant la question du trafic de médicaments via des pharmacies ou des médecins en zone grise. "Deux tiers des produits de substitution se retrouvent sur le marché noir. Ils se vendent très cher à l'étranger. Les ordonnances de complaisance sont de plusieurs natures, certains médecins le font par humanisme, d'autres pour de l'argent, d'autres encore parce qu'ils sont sous pression. Et pourtant, ils sont très surveillés en France", précise le cinéaste.

Film noir en quête de lumière, "Médecin de nuit" profite également d'une belle bande-son composée par les frères Galperine, véritable contrepoint à l'âpreté du propos.

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Adaptation web: Marie-Claude Martin

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