Présenté en compétition à Locarno, "Monte Verità", du réalisateur suisse Stefan Jäger, brosse le portrait d'un lieu où tout semblait possible au début du 20e siècle, terrain d'expérimentation de la Lebensreform, un mouvement né en Allemagne au milieu du 19e siècle et qui prônait un retour à la nature. Ce lieu magique qui surplombe Ascona s'appelle le Monte Verità.
Le groupe fondateur, composé d’Henri Oedenkoven, Karl Gräser, Gustav Gräser, Ida Hofmann, Jenny Hofmann, Lotte Hattemer et Ferdinand Brune, entend créer en 1899 une société alternative, une "colonie" en rupture avec les valeurs du patriarcat et de la consommation. L'objectif de ces pionniers? Fuir les valeurs rigides de la bourgeoisie et créer une communauté auto-subsistante, inspirée des phalanstères du philosophe Charles Fourier.
"Réformateurs de vie", anarchistes, libertaires et intellectuels
On est au tournant d'un siècle finissant et l'entreprise connaît immédiatement du succès. Elle voit débarquer artistes, "réformateurs de vie", anarchistes, libertaires et intellectuels, autant de femmes et d'hommes qui marqueront l'histoire de l'art et de la pensée.
Les écrivains Nietzsche et Hermann Hesse, la chorégraphe Isadora Duncan, le philosophe Max Weber, les peintres Paul Klee et Jean Arp, entre autres, s'y sont rendus, portés par un même idéal de liberté de corps et d'esprit.
Naturisme, bains de soleil, danse rythmique, travail de la terre, retour au travail artisanal, amour libre, féminisme et végétalisme sont au coeur d'une pratique qui a vu le jour dans un Tessin encore marqué par la toute-puissance de l'Eglise. D'une certaine manière, on peut dire que l'expérience du Monte Verità préfigure le mouvement hippie et qu'il est une pièce importante de la contre-culture mondiale.
La Première Guerre mondiale sonnera pourtant le glas de cette utopie libertaire et la colline du Monte Verità sera rachetée, en 1926, par Eduard von der Heydt, un banquier allemand qui fait construire par l’architecte Emil Fahrenkamp un superbe hôtel dans le style Bauhaus.
Ce n'est pas la moindre des qualités du film de Stefan Jäger que de rappeler ou faire découvrir ce lieu au-dessus du lac Majeur où s'est écrit un chapitre des utopies appliquées. Les critiques de "Vertigo" comme du "12h45" regrettent néanmoins que le film manque de souffle, de folie et de liberté par rapport à son sujet tellement dionysiaque, comme un décalage entre le fond et la forme.
Reste une belle histoire, celle d'Hanna, jeune femme emprisonnée dans la bonne société viennoise qui laissera derrière elle enfants et époux pour rejoindre son médecin à Monte Verità. Elle s'y découvrira une passion pour la photographie "en mouvement", faisant bouger et respirer ses modèles. L'exercice de son art soignera du même coup ses problèmes pulmonaires, moins pathologiques qu'existentiels.
Marie-Claude Martin