Après s'être intéressé à une commission parlementaire ("Le génie helvétique"), à la crise des subprimes ("Cleveland contre Wall Street"), au populisme façon Blocher et à l'opéra, Jean Stéphane Bron poursuit sa route avec un projet encore plus ambitieux: un voyage au coeur du cerveau humain, cet organe de 1,3 kilo composé de 70 milliards de neurones.
L'humanité est-elle vouée à être remplacée?
Alors que les chercheurs n'ont pas encore fini de découvrir tous ses secrets et mystères, les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle sont vertigineux et ouvrent toute une série de questions.
Pourra-t-on répliquer le cerveau biologique sur ordinateur? Les robots peuvent-ils avoir une conscience? Connaîtront-ils le plaisir et la souffrance? Seront-ils un jour capables de vivre sans nous? L'humanité n'est-elle qu'une étape de l'évolution? A qui profite cette course acharnée entre intelligence artificielle et intelligence humaine? Jusqu'où la science peut-elle transformer le monde?
Questions scientifiques, philosophiques et aussi politiques, selon Jean-Stéphane Bron. "Oui, politique car il y a des enjeux de pouvoir dans la science, notamment à travers les grandes sociétés privées. Les technologies que la science développe ont la capacité de modifier profondément nos vies. Mon film est un peu une méditation sur notre devenir commun."
"Cinq nouvelles du cerveau" interroge cinq scientifiques, quatre hommes et une femme, chacun à la pointe de son domaine, dont les recherches dessinent la carte d'un futur aussi fascinant qu'inquiétant.
Mon film est comme un documentaire de science-fiction qui prospecte loin à partir de ce qui se passe aujourd'hui dans les laboratoires. Chaque scientifique offre un scénario du futur.
Un sixième oeil, celui du psychiatre Serge Tisseron, complète cette galerie d'intervenants. Et en bon psychanalyste, il se demande s'il est bien nécessaire "de fabriquer une nouvelle catégorie de créatures aussi malheureuses que les humains".
Dialogues et intimité
Mais Jean-Stéphane Bron ne se contente pas d'aligner les entretiens, il prend soin de les organiser en écho les uns avec les autres et surtout de montrer ses interlocuteurs dans des situations intimes ou en interaction avec leur milieu quotidien ou familier.
Le film s’ouvre d'ailleurs sur l’histoire d’un père et de son fils. Le père, Alexandre Pouget, professeur en neurosciences computationnelles à l'Université de Genève, est convaincu que dans un proche avenir les robots seront non seulement capables d'exprimer des émotions, mais qu'ils pourront agir selon ces émotions. Pour lui, l'humanité n'est qu'une étape dans l'évolution. Son fils, Hadrien, jeune chercheur en IA à Oxford, craint les conséquences d’un tel projet. Entre le père et le fils, s'établit un dialogue à la fois passionnant et émotionnel.
Parmi les intervenants, il y le neuroscientifique américain Christof Koch, qui se demande comment le cerveau humain, la machine la plus complexe du monde, permet l'expérience de la conscience alors que son chien bien-aimé est en train de mourir. En a-t-il conscience?
Il y a aussi David Rudrauf, professeur de psychologie à l'Université de Genève et docteur en neurosciences, qui défend une vision transhumaniste. Convaincu que la race humaine est condamnée à disparaître, il souhaite "semer une petite graine", transmettre notre patrimoine à des robots qui pourraient coloniser l'univers.
Il y a encore Niels Birbaumer et son patient Félix, atteint du syndrome d'enfermement, immobilisé suite à un accident cérébral, alors que ses capacités cognitives et émotionnelles sont intactes. Le scientifique met en garde contre l'utilisation de ses recherches sur le cerveau à des fins politiques ou commerciales.
Enfin, il y a Aude Billard, physicienne suisse, professeur de robotique à l'EPFL, qui pense que si les machines peuvent faire le travail des humains, "c'est principalement parce qu'on traite les gens comme des machines".
La même explique combien il est difficile de reproduire une simple main. "Pour Anne Billard, le plus grand danger est peut-être notre propre robotisation, notre aliénation aux machines, une sorte de servitude volontaire comme le disait La Boétie", précise Jean-Stéphane Bron qui rappelle que toutes les fascinations ou inquiétudes qui animent son documentaire étaient déjà présentes dans l'Antiquité, à cette seule différence qu'aujourd'hui, elles sont rendues possibles.
Marie-Claude Martin