"Dune", histoire d'une adaptation cinématographique maudite

Grand Format Cinéma

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Introduction

Publié en 1965, le fameux roman de science-fiction de Frank Herbert "Dune" a déjà connu plusieurs tentatives d'adaptation au cinéma qui se sont toutes soldées par des échecs. La version de Denis Villeneuve, à voir actuellement au cinéma, était donc très attendue par les fans du livre et par le milieu du cinéma.

Chapitre 1
"Dune", chef-d'oeuvre de la SF signé Frank Herbert

Warner Bros. - Legendary Enterta / Collection ChristopheL via AFP

Au départ, "Dune" est un roman de plus de 500 pages sorti en 1965 écrit par Frank Herbert. Chef-d'oeuvre de la littérature de science-fiction, ce premier volume pose les bases d'une saga romanesque connue sous le nom de "Cycle de Dune" qui comportera au final six livres écrits par Frank Herbert, suivi encore de douze volumes écrits par son fils Brian.

Ce space opera prend place dans les années 10'000. Un empereur règne sur un univers dont les diverses planètes sont habitées par des populations qui ont chacune leurs particularités et qui se font volontiers la guerre.

Au sein de la population des Atréides, on trouve le jeune Paul qui va devenir le personnage principal du roman. Sa famille se voit confier la gestion d'Arrakis. Appelée aussi Dune, cette planète désertique et balayée par des vents violents est habitée par le peuple des Fremen, mais également par des vers géants. La planète est néanmoins très convoitée puisque c'est le seul endroit de cet univers où l'on trouve l'Epice, un des éléments centraux de la saga "Dune".

Dotée de plusieurs propriétés miraculeuses comme celle de prolonger l'espérance de vie, cette drogue permet aussi d'éveiller la conscience et d'améliorer les facultés de prescience. Et sans l'Epice, toute navigation interstellaire longue distance est impossible.

Depuis longtemps, les Fremen prophétisent la venue d'un homme qui les conduirait vers la véritable liberté. Et ce Messie pourrait bien être Paul Atréides...

>> A écouter, une chronique de l'émission CQFD sur la composition de l'Epice de "Dune" :

La planète désertique Arrakis, plus connue sous le nom de Dune, est la seule source de l'Epice.
WARNER BROS/COLLECTION CHRISTOPHEL
AFP [WARNER BROS/COLLECTION CHRISTOPHEL]WARNER BROS/COLLECTION CHRISTOPHEL
CQFD - Publié le 14 septembre 2021

Le roman "Dune" a été écoulé à vingt millions d'exemplaires et reste "le roman de science-fiction le plus vendu et le plus lu" au monde, mais aussi "le plus commenté et le plus étudié, notamment dans le cadre de travaux universitaires", souligne Renaud Guillemin, membre de la communauté des "Duniens" de France (et par ailleurs chercheur au CNRS).

"Dune" est "le prototype même du 'livre univers'", avec "sa propre cohérence, ses propres références, ses propres fondations", à l'image du 'Seigneur des Anneaux' en fantasy, explique Lloyd Chéry, qui réédite son ouvrage de référence "Tout sur Dune", et a fondé le podcast "C'est plus que de la SF".

Sans compter des "trouvailles qui ont fasciné des générations de lecteurs" comme les vers des sables, le distille, une combinaison qui recueille et recycle la sueur, ou le Bene Gesserit, un ordre de femmes combattantes capables d'influer par la pensée.

Les mordus louent une oeuvre visionnaire, anticipant sur des questions allant du réchauffement climatique à la toute-puissance des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), en passant par l'impact des technologies.

>> L’histoire d’un roman vendeur et précurseur. Ecouter l'interview de Nicolas Allard, auteur de "Dune, un chef d'oeuvre de la science-fiction" :

Couverture de la première édition du livre "Dune" de Frank Herbert. [wikipedia - Chilton Books]wikipedia - Chilton Books
Forum - Publié le 18 septembre 2021

Tenant à la fois de la tragédie grecque, du mythe biblique et de l'épopée médiévale, "Dune" semblait taillé pour le cinéma.

Pourtant, il traîne la réputation de film maudit par excellence, plusieurs réalisateurs s'y étant cassé les dents. Et aucune adaptation n'a jusqu'ici franchement convaincu.

>> A voir, "'Dune', nouvelle adaptation cinématographique du plus gros succès de science-fiction" (sujet du 19h30) :

"Dune" nouvelle adaptation cinématographique du plus gros succès littéraire de science-fiction
19h30 - Publié le 15 septembre 2021

Chapitre 2
L'adaptation de Jodorowsky n'aboutit pas

HIGHLINE PICTURES / COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP

Figure de l'underground et auteur de films cultes dans les années 1970, le Franco-chilien Alejandro Jodorowsky est le premier à tenter une adaptation au cinéma.

En 1973, alors que le Français Michel Seydoux lui propose de produire son prochain film, Jodorowsky annonce, un peu comme une boutade, qu'il veut adapter "Dune" de Frank Herbert. Les studios hollywoodiens, qui considèrent déjà cette histoire comme inadaptable au cinéma, cèdent les droits pour une bouchée de pain.

"Je voulais créer un prophète et changer les esprits dans le monde entier, explique le réalisateur dans le documentaire "Jodorowsky's Dune" sorti en 2013. "Pour moi, continue-t-il, "Dune" aurait été l'arrivée d'un Dieu artistique et cinématographique. Il ne s'agissait pas de faire juste un film, c'était plus profond. Je voulais créer quelque chose de sacré, de libre. A cette époque, je me sentais moi-même dans une prison. Alors j'ai commencé à me battre pour faire 'Dune' ".

Jodorowsky développe un scénario qui s'éloigne du livre pour s'aventurer vers une saga mystico-métaphysique à l'ambition colossale. Il annonce 12 heures de film. Pour préparer celui-ci, il imagine un storyboard très précis détaillant tous les plans qu'il fait dessiner par Moebius, fameux auteur de bandes dessinées.

Le réalisateur s'entoure de nombreux autres collaborateurs prestigieux: le dessinateur suisse Hans Ruedi Giger pour les effets spéciaux, le scénariste et réalisateur Dan O'Bannon, les Pink Floyd pour la musique. Et pour le casting, sont prévus rien moins qu' Orson Welles, Charlotte Rampling, Alain Delon, Mick Jagger ou encore Salvador Dali.

Après quatre ans de préproduction et un budget de 15 millions de francs, le projet est à bout touchant. Il ne manque "que "5 millions à trouver. Le producteur Michel Seydoux part toquer à la porte des studios hollywoodiens. "A chaque fois, ils nous disaient, c'est super, c'est extrêmement bien construit, raconte le Français dans le documentaire. Vous avez résolu les problèmes techniques des effets spéciaux, économiquement, c'est raisonnable, mais on ne comprend pas votre metteur en scène. Tout était génial sauf le metteur en scène."

Faute de financement, le projet titanesque de Jodorowsky est abandonné. Malgré l'échec cuisant, reste le storyboard dessiné par Moebius qui circule largement dans le milieu hollywoodien. Certains prétendent que plusieurs idées développées dans ce document ont été reprises par George Lucas pour "Star Wars". Quant à Giger et Dan O'Bannon, ils se lancent dans la saga "Alien".

Chapitre 3
La version de David Lynch ne convainc pas

Universal - Dino De Laurentiis C / Collection ChristopheL via AFP

En 1976, le producteur italien Dino De Laurentiis rachète les droits du projet abandonné de Jodorowsky. Il confie le scénario directement à Franz Herbert qui ramène l'histoire à une version d'environ 3 heures. La réalisation est proposée à Ridley Scott qui vient de signer "Alien". Mais le réalisateur abandonne assez rapidement ce projet pour se concentrer sur "Blade Runner". C'est la fille de Dino, Raffaella, qui a beaucoup aimé "Elephant Man", qui propose David Lynch.

Le réalisateur accepte le projet et commence à retravailler le script. Après plusieurs versions du scénario, le tournage peut débuter au Mexique. Il dure de nombreux mois et se déroule dans des conditions particulièrement pénibles.

Kyle MacLachlan (à gauche) et Sting (à droite) dans le film "Dune" de David Lynch. [Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]
Kyle MacLachlan (à gauche) et Sting (à droite) dans le film "Dune" de David Lynch. [Archives du 7eme Art / Photo12 via AFP]

Dans le rôle de Paul, on trouve Kyle MacLachlan, un acteur encore inconnu du grand public. Dans les seconds rôles, on note la présence de quelques stars comme Sting ou Max von Sydow. Les décors sont monumentaux, les costumes se comptent par milliers.

Mais la créativité du cinéaste se trouve écrasée par la machinerie hollywoodienne qui refuse son montage de 3h30 et n'hésite par à aller charcuter dedans. Lynch se sent spolié et se désolidarise du film qui sort en 1984.

Démoli par la critique qui trouve l'histoire incompréhensible et les effets spéciaux ratés, le film est également boudé par le public. C'est à la fois un capotage artistique et financier. Cet échec met également fin au projet d'adapter au cinéma l'ensemble du cycle "Dune". De son côté, Lynch continue de rejeter ce long-métrage qui reste pour lui comme une blessure.

Pourtant, au fil du temps, ce "Dune" s'est fait une réputation de film culte et d'aucuns de lui trouver des qualités et un certain charme.

>> A écouter, la chronique " 'Dune', de la page à l'écran" avec le critique de cinéma de la RTS Rafael Wolf et Alain Boillat, professeur à la Section d'histoire et esthétique du cinéma à lʹuniversité de Lausanne :

Une scène du film "Dune" de Denis Villeneuve. [Warner Bros]Warner Bros
Vertigo - Publié le 14 septembre 2021

Chapitre 4
Denis Villeneuve relève le défi

2020 Warner Bros - Chia Bella James

Par la suite, c'est le monde des séries qui se lance dans l'adaptation de "Dune" mais sans susciter un réel engouement. On voit aussi poindre des jeux vidéo issus de l'univers créé par Frank Herbert. Il faut attendre 2017 pour qu'un projet cinématographique soit à nouveau évoqué. Et c'est le réalisateur canadien Denis Villeneuve qui s'y colle.

"Quand j'ai lu le livre enfant, j'ai été frappé par la trajectoire de Paul, la façon dont son identité est confrontée à une autre culture, sa relation avec la nature, sa mélancolie...", déclare le réalisateur.

Très en vue à Hollywood, le Canadien a déjà prouvé sa capacité à s'attaquer aux mythes de la science-fiction, avec "Premier Contact" (2016) ou "Blade Runner 2049" (2017), suite du film de Ridley Scott.

Pour éviter de devoir faire des ellipses trop importantes dans l'histoire originale, Denis Villeneuve décide d'emblée de scinder son film en deux parties et de n'adapter que la première partie du roman initial. Pour jouer Paul, le réalisateur choisit Timothée Chalamet. Aux côtés du jeune acteur franco-américain de 25 ans, révélé par son rôle dans "Call Me by Your Name", on trouve Rebecca Ferguson, Zendaya, Oscar Isaac, Stellan Skarsgard ou encore Charlotte Rampling.

Une scène du film "Dune" de Denis Villeneuve. [Warner Bros]
Une scène du film "Dune" de Denis Villeneuve. [Warner Bros]

Le tournage débute en mars 2019 avec un budget de 165 millions de dollars. Suite à l'épidémie de Covid, le projet prend du retard puis sa sortie est repoussée plusieurs fois.

Finalement, la Warner annonce une sortie simultanément en salles et sur sa plateforme HBO Max, ce qui provoque un tollé général et fâche le réalisateur qui martèle que son film doit être vu sur grand écran. Il faut dire que l'enjeu est de taille. Du succès financier de ce premier volet - intitulé d'ailleurs "Dune, partie 1" -  dépend la mise en chantier de la seconde partie.

Chapitre 5
"Dune", critiques enthousiastes et mitigées

Warner Bros.
Affiche du film "Dune" de Denis Villeneuve. [Warner Bros]
Affiche du film "Dune" de Denis Villeneuve. [Warner Bros]

Alors qu'une partie de la planète devra encore attendre jusqu'au 22 octobre pour le voir, le film tant attendu est déjà sorti mercredi dans certains pays, dont la Suisse et la France.

Et les premières critiques sont majoritairement bonnes, voire excellentes. On parle "d'un chef d'oeuvre de science-fiction", d'un "space opera grandiose". On loue le style du film proposé par le réalisateur canadien qui est plus personnel et esthétique que d'autres blockbusters proposés ces dernières années. Plusieurs médias comme The Guardian lui attribuent la note maximum et en font une critique dithyrambique.

Les premiers commentaires postés sur les réseaux sociaux indiquent aussi que le film semble avoir conquis en grande partie le public.

Mais d'autres sont déçus et se font aussi entendre. Les Inrocks et Libération, par exemple, regrettent le "manque de vision" et "l'ambiguïté" de l'histoire racontée.

Les chroniqueurs cinéma de la RTS sont également partagés. Si Philippe Congiusti s'est "laissé emporter par la maestria des effets spéciaux et trouve que l'image sert le propos", Rafael Wolf s'est quant à lui "ennuyé à mort". Il regrette cette sensation de monotonie visuelle et narrative, et trouve le tout trop lisse.

>> A écouter, les critiques de Rafael Wolf et Philippe Congiusti de la RTS :

Timothée Chalamet dans le rôle de "Paul" dans "Dune" de Denis Villeneuve. [Warner Bros.]Warner Bros.
Vertigo - Publié le 15 septembre 2021