Traducteur de l’équipe olympique syrienne aux Jeux de Sydney en 2000, Sami commet un lapsus qui aura des conséquences funestes. Au lieu de dire "tous les Syriens pleurent Hafez el-Assad...", il traduit par "certains Syriens pleurent Hafez el-Assad...". Un acte manqué ou une provocation qui le contraint à rester en Australie, où il obtient le statut de réfugié politique.
Après avoir laissé derrière lui famille et proches, il a refait sa vie. Mais lorsque le Printemps arabe éclate, onze ans plus tard, Sami décide de rentrer clandestinement pour sauver son frère, arrêté après une manifestation pacifique…
"Le traducteur" est le premier film de fiction à traiter des débuts de la révolution syrienne. "L'histoire est totalement inventée mais ancrée dans la réalité et la chronologie syrienne. Tous les vendredis de la révolution, par exemple, sont les vrais vendredis de la révolution", explique à la RTS Anas Khalaf, coréalisateur avec sa femme Rana Kazkaz du film "Le ratducteur".
Se raconter à travers la fiction
Mais pourquoi une fiction plutôt qu'un documentaire? Parce que le couple qui vivait en Syrie lors de ces événements a connu quelques conflits quant aux choix à opérer à ce moment-là - partir? rester? participer? se taire? penser à court terme ou à long terme? - et qu'il avait aussi envie de parler de ça à travers cette fiction.
"Comme le disait Godard: 'Si vous voulez faire un film sur les autres, faites un documentaire; si vous voulez faire un film sur vous-mêmes, faites une fiction'. La fiction porte tout ce qu'on a en nous-mêmes, même inconsciemment", explique le réalisateur qui est resté en Syrie jusqu'en 2012, certain d'assister à la fuite du régime, à l'image des pays voisins, tandis que sa femme et ses enfants quittaient le pays pour l'Australie aux premières heures. "On a failli divorcer à l'époque".
Privilèges et culpabilité
Bien que syriens tous les deux, Anas et Rana bénéficient de la double nationalité française et américaine. Grâce à leurs passeports, ils ont pu partir quand ils le souhaitaient. Face à leurs malheureux congénères, ils en ont gardé une forme de culpabilité.
Nous sommes proches du personnage de Sami qui vit avec la culpabilité d'avoir quitté son pays. Notre situation n'a rien à voir avec le sacrifice des 6,6 millions de réfugiés qui ont connu le pire. Avec beaucoup d'humilité, nous avons fait un film pour témoigner.
Dans "Le traducteur", il est question de mots mais aussi de regards, le pays vivant sous une surveillance constante. "Il y a des yeux partout, et ce, bien avant la révolution". La belle-soeur de Sami est d'ailleurs ophtalmologue et, symboliquement, aide Sami à y voir clair après onze ans d'absence.
Mais ophtalmologue, c'était aussi le métier que pratiquait Bachar el-Assad avant de prendre le pouvoir. "C'est un clin d'oeil. Je me souviens d'une interview, avant la révolution, où on demandait à Bachar pourquoi il avait choisi cette branche de la médecine. Sa réponse est stupéfiante: 'Je n'aime pas le stress des urgences médicales, ni la vue du sang. Dans la médecine de l'oeil, il n'y a quasiment pas d'urgence'", ironise le réalisateur.
Financement multiple
Désormais installé à Doha, le tandemde réalisateurs a bénéficié d'un financement confortable pour un premier long métrage. Huit pays y ont participé, dont la Suisse et le Qatar. Ce dernier entend ainsi asseoir sa prépondérance culturelle dans la région et à aussi l'étranger, grâce à sa présence dans les plus grands festivals internationaux.
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"Le traducteur", un film de Rana Kazkaz et Anas Khalaf
Ce financement généreux, Rana et Anas le doivent au succès de leur court métrage "Mare Nostrum", qui évoquait le passage de la Méditerranée par les réfugiés. Un film primé 39 fois et présenté dans 130 festivals.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: Marie-Claude Martin