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Loin de tout exotisme, "Mon Légionnaire" raconte l'attente et l'absence

La réalisatrice Rachel Lang. [Lydie Nesvadba]
L'invitée: Rachel Lang, "Mon légionnaire" / Vertigo / 23 min. / le 8 octobre 2021
La réalisatrice et réserviste Rachel Lang met en scène des légionnaires et leurs compagnes dans une existence où l'armée dicte sa loi jusqu'au sein des couples et des familles. Avec Louis Garrel et Camille Cottin, "Mon Légionnaire" est à voir sur les écrans romands.

Pas de sable chaud, pas de romantisme, aucun virilisme. "Mon Légionnaire" de Rachel Lang traite bien de la Légion étrangère, représentée par 150 nationalités, mais d'un point de vue intimiste et très documenté. La réalisatrice connaît son sujet: elle est elle-même réserviste dans l'armée.

"Mon Légionnaire" parle essentiellement de l'attente. Une autre cinéaste, Claire Denis, s'était attachée à changer l'image héroïque et exotique de la Légion étrangère dans un film contemplatif, "Beau travail". Rachel Lang, elle, s'emploie à montrer ce que l'armée et son esprit de corps peuvent provoquer au sein des couples et des familles. Elle filme donc autant les compagnes des soldats, dans leur quotidien plutôt banal, que les hommes de la Légion étrangère aux prises avec un ennemi souvent invisible.

Filmer la guerre comme un brouillard

Ces allers et retours constituent la matière de ce film précis et empathique qui montre la guerre en hors champ. "On n'a jamais de la guerre une vision globale, mais par fragments, par des comptes rendus donnés par des radios crachotantes. Je filme le brouillard de la guerre et la solitude de ceux qui doivent commander dans ce brouillard", explique la réalisatrice, également scénariste, qui a une véritable passion pour la chose militaire. "Parce que c'est un univers très codifié. Quand la mort est vécue comme une hypothèse de travail, les émotions sont décuplées".

Entre la Corse et le Mali

L'histoire se situe en Corse, où est installée la caserne, et au Mali où les soldats doivent se rendre pour une mission antiterroriste. Ces femmes et ces hommes sont incarnés à travers deux couples. Le premier formé par Louis Garrel et Camille Cottin, lui officier, elle avocate qui n'a pas abandonné son ambition professionnelle, ce qui pose problème.

Camille Cottin dans "Mon Légionnaire". [Copyright ML/Cheval deux trois/Wrong Men]
Camille Cottin dans "Mon Légionnaire". [Copyright ML/Cheval deux trois/Wrong Men]

L'autre couple est composé de deux jeunes Ukrainiens, lui simple soldat, elle, sa petite amie, qui l'a suivi en Corse par amour et qui fait tout ce qu'il faut pour intégrer le club des épouses.

Traditionnellement, les femmes ne travaillent pas, elles doivent suivre leur mari et faire des enfants. La Légion, pour réussir à intégrer autant de langues, religions et cultures différentes, doit rester un corps social très serré, avec des règles fortes. Il faut tout faire pour que le groupe soit plus important que l'individu.

Rachel Lang, cinéaste et réserviste.

Le film pose la question de l'engagement. Dans un couple, dans une vie de famille, pour un pays qui n'est pas forcément le sien, pour une cause qu'on n'épouse que partiellement. Il montre des hommes qui lavent leur linge entre deux attentes, qui jouent aux cartes et se demandent parfois ce qu'ils font là quand, en plein désert, au lieu de rencontrer l'ennemi, ils doivent faire face à une bande d'ados.

Il montre aussi, en alternance, des femmes qui attendent que leurs maris reviennent, s'essaient à une forme de solidarité, notamment à travers une scène d'épilation, et se demandent, elles aussi, ce qu'elles font là. Tous sont en territoire hostile.

Changer l'image de la Légion

Pour autant le film n'est pas antimilitariste. Une des scènes montre le couple Garrel/Cottin au restaurant à Paris, avec des amis qu'on qualifiera de bobos et qui reprochent au couple de travailler pour Françafrique. Une séquence tout en nuances. "Le monde civil a tendance à s'en prendre aux militaires. Mais l'armée est soumise au monde politique, elle lui obéit. C'est à ce dernier qu'il faut s'adresser", dit Rachel Lang qui a voulu changer l'image que l'on peut avoir de la Légion.

Le film n'a bénéficié d'aucune aide de la Légion, ses colonels n'ont pas aimé le scénario. "Parce que je donne la parole aux femmes, que je travaille l'aspect humain et que je suis une femme", dit la réalisatrice. Mais dans le monde du cinéma, le film n'a pas non plus enthousiasmé les producteurs.

Le 'war drama' n'est pas une spécialité française. Pour l'armée, j'étais une troubadour; pour le cinéma, une excentrique avec une idée folle.

Rachel Lang.

Casting très réussi

Ina Marija Bartaité, comédienne hélas décédée depuis le tournage de "Mon Légionnaire". [Copyright ML/Cheval deux trois/Wrong Men]
Ina Marija Bartaité, comédienne hélas décédée depuis le tournage de "Mon Légionnaire". [Copyright ML/Cheval deux trois/Wrong Men]

Au départ, Louis Garrel n'était pas le choix de Rachel Lang. Mais à la première lecture du scénario, la réalisatrice a été bluffée par l'intelligence du texte et l'engagement du comédien. Pour jouer son personnage, Garrel a été formé pendant six mois par un légionnaire, entraîné quatre mois par un coach sportif et suivi un stage avec d'anciens légionnaires. Résultat, il est très bon, tout comme le reste de la distribution. Mais le visage inoubliable du film est celui d'Ina Marija Bartaité, jeune actrice lituanienne talentueuse, décédée en avril 2021, victime d'un chauffard.

Ce qu'en pensent nos critiques

"Mon Légionnaire" a séduit les deux critiques cinéma de l'émission "Vertigo". Rafael Wolf met en avant la grande authenticité de cette production et la finesse d'observation de la réalisatrice, mais regrette qu'à force de tout vouloir montrer et ne rien cacher de cette absence, le film perde en point de vue cinématographique".

>> A écouter, les critiques de "Vertigo" :

Louis Garrel dans "Mon Légionnaire". [ChevalDeuxTrois / Wrong Men]ChevalDeuxTrois / Wrong Men
Débat cinéma / Vertigo / 29 min. / le 6 octobre 2021

Quant à Yacine Nemra, il a été sensible à la capacité de la réalisatrice de "témoigner de l'horreur de l'instant et d'ancrer l'institution dans le coeur des personnages".

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Adaptation web: Marie-Claude Martin

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