A 83 ans, le Britannique Ridley Scott ne chôme pas. Après "Le Dernier Duel", son 26e long-métrage, on découvrira fin novembre "House of Gucci", qui revient sur l'assassinat de l'homme d'affaires italien, puis en 2023, "Kitbag", un film sur la jeunesse de Napoléon.
Prolifique mais aussi inégal, Ridley Scott! Sa filmographie ressemble à un grand huit; elle passe de chefs-d'oeuvre ou de films culte ("Alien", "Blade Runner" ou "Thelma et Louise") à des productions médiocres, voire grotesques. Une chose est sûre néanmoins, le réalisateur a toujours aimé les femmes fortes et courageuses. "Le dernier Duel" en témoigne qui met en scène une femme qui, au coeur de la guerre de Cent Ans, choisit de dénoncer le viol dont elle a été victime au risque de sa vie.
Basé sur une histoire vraie
L'intrigue se base sur des événements réels, survenus en 1386: le dernier duel judiciaire connu en France - également nommé "Jugement de Dieu" - entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés.
Carrouges (Matt Damon, peu reconnaissable avec sa coupe mulet) est un chevalier respecté, rugueux, un peu borné, usé par les guerres et reconnu pour sa bravoure. Le Gris (Adam Driver) est un écuyer normand dont l'intelligence, l'éloquence et la séduction font de lui l'un des nobles les plus admirés de la cour. C'est lui pourtant qui va agresser violemment Marguerite de Thibouville (Jodie Comer), la femme de Carrouges, qui refusera de se plier à la loi du silence.
Pour sauver son honneur - le sien ou celui de sa femme? -, le mari affrontera l'écuyer dans un duel armé. Attachée à la tribune, le sort de Marguerite dépend de l'issue du combat. Si son mari meurt, c'est qu'elle a menti. Elle sera alors brûlée vive.
Trois points de vue différents
L'intérêt de ce scénario réside dans les différents points de vue. A chacun sa vérité. La même histoire est ainsi racontée par le chevalier, l'écuyer et la victime, avec de subtiles nuances. Marguerite éclaire par son récit la compréhension globale de l’histoire et met en avant la question du consentement, bien avant #MeToo.
Je suis sorti subjugué. C'est un très grand film. J'ai adoré la construction du récit en trois points de vue. Celui de Marguerite, à la fin, permet de relire tout ce qu'on a vu auparavant. C'est une approche très contemporaine.
Le regard des personnages, ainsi que celui des spectateurs sur les personnages, évoluent au gré des ressentis de chacun. Cette construction narrative en trois volets permet aussi aux comédiens de déployer plusieurs jeux à l'intérieur du même personnage.
On comprend que Le Gris, qui nie le viol, a eu un comportement bien plus violent qu’il ne se le représentait lui-même et que Carrouges, amoureux de son image valeureuse, a bien moins d’empathie envers son épouse que ce qu’il croit.
On comprend surtout la vanité des hommes qui prétendent se battre pour l'honneur d'une femme alors qu'ils sont mus par un esprit de vengeance et de propriété.
La féminité brimée
Parce qu'elle clôt le cycle des récits, mais aussi parce que la plaignante n'a pas de raison de mentir, Scott adhère au point de vue de Marguerite, sans conteste. Il filme sa féminité réduite au silence, les violences à répétitions, la mise en doute de sa parole et sa survie qui dépend des hommes exclusivement.
C'est un film très moderne mais jamais anachronique. C'est aussi une leçon de cinéma: Scott nous montre que pour qu'une scène d'action soit prenante (le film débute par le fameux duel), il faut prendre le temps de déployer les enjeux.
Le scénario, adapté du livre du médiéviste américain Eric Jager, a été écrit à six mains. Matt Damon a rédigé la partie Jean de Carrouges, Ben Affleck, celle de Jacques Le Gris, et la réalisatrice Nicole Holofcener, la partition de Marguerite.
Intime et spectaculaire
Pour donner vie à son sujet, Scott a donné le meilleur de lui-même et revient à ses débuts inaugurés en 1977 avec "Les Duellistes" qui opposait alors Harvey Keitel à Keith Carradine. Sa reconstitution de la France du 14e siècle est très crédible avec en toile de fond la construction de Notre-Dame, sa vision du Moyen Age barbare et stylisée, ses scènes de bataille d'une belle lisibilité, le montage à la fois astucieux et efficace.
"Sa mise en scène est parfaite qui commence par une scène de bataille grandiose avant de se focaliser sur les visages. Il passe de l'épique à l'intime. C'est d'une extrême élégance", conclut Rafael Wolf.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: Marie-Claude Martin