Enfant, Laurent Geslin est fasciné par les lynx. Lorsqu’il apprend que le lynx boréal est réintroduit dans les montagnes jurassiennes, il rêve de pister le fantôme des bois. En 2010, il se retrouve pour la première fois nez à nez avec son animal fétiche. Le photographe français installé dans le Jura, qui travaille alors sur un projet pour le National Geographic, se fond dans la forêt, attendant parfois des mois pour apercevoir le félin le plus discret d’Europe.
"Comme j’ai réussi à avoir des images de lynx dès mon premier essai, je me suis dit que cela allait être facile. J’avais un délai de six mois pour le projet, mais il m’a fallu huit mois pour le croiser à nouveau après cette première rencontre! Une grosse frayeur", se souvient pour la RTS Laurent Geslin.
Pour son film "Lynx", il a suivi une famille de lynx sur plusieurs saisons, pendant six ans, entre 2014 et 2020. À la clé, un film hors du commun, véritable ode à la nature retrouvée. Il s’agit là du premier film mettant en scène une histoire avec des lynx sauvages. "D’habitude, les films mettent en scène des animaux dressés. En l'occurrence, le lynx boréal est un animal extrêmement difficile à filmer et à photographier", explique le réalisateur. La durée du tournage se justifie par la discrétion de l’animal: parfois, malgré de longs mois de veille en forêt, aucune trace de la famille féline.
Une patience à toute épreuve
Le film commence lors de la saison des amours. Le lynx 'chante' pour attirer la femelle, qui lui répond. "En réalité, cette scène a été tournée lors de deux années différentes! J’ai filmé les appels du mâle pour la première fois en 2015. Il m’aura fallu trois mois d’affût, matin et soir, au même endroit, pour croiser deux fois seulement un mâle appelant sa femelle. Elle répondait à chaque fois pendant la nuit, ce qui était difficile à filmer", explique Laurent Geslin.
Il faut être sacrément entêté pour tourner un film sur le lynx, mais comme je suis breton d’origine, je suis assez têtu pour cela!
En effet, pour filmer les animaux plus facilement, le réalisateur utilise un affût, sorte de petite tente de camouflage. "Ce n'est qu’en 2021 que j’ai obtenu les dernières images – mon affût était installé au même endroit depuis trois ans – la dernière semaine de tournage, la femelle est sortie sur le chemin pour appeler le mâle à 80 mètres de mon objectif, cette fois à la lumière du jour!"
Parfois, le film donne l’impression que les lynx regardent droit dans l’objectif de Laurent Geslin. "Ce sont des animaux très attentifs. À force de filmer certains individus, je les connaissais assez bien. Parfois, je les croisais sans affût! Le mâle du film tolérait relativement bien ma présence."
Un animal victime du braconnage
Certains membres de la famille de lynx connaissent un triste destin. L’un des trois petits est tué par un braconnier. "Cela fait mal, car ce sont des animaux que je suis pendant des années", admet Laurent Geslin. "Je connais aussi les adultes. Parfois, j’apprends par un garde-faune que l’un d’entre eux a été tiré. Heureusement dans le Jura, les chasseurs sont relativement tolérants avec le lynx boréal. Cela n’est pas le cas dans d’autres régions, par exemple dans les Vosges en France, où la population a été complètement éradiquée à cause du braconnage." Dans les montagnes jurassiennes, on considère qu’il y a actuellement environ 150 lynx adultes, côtés suisse et français confondus.
Les lynx forment donc une population éparse et solitaire. Deux mâles ne peuvent pas se partager le même territoire, de parfois plus de 100 kilomètres carrés. Idem pour les femelles. "Chaque territoire contient une certaine quantité de nourriture, que les individus gardent farouchement pour pouvoir se nourrir tout au long de l’année. En revanche, les mâles tolèrent facilement les femelles sur leur territoire", précise Laurent Geslin.
Un film qui contribue à la recherche
En tournant ce film, Laurent Geslin souhaitait également en apprendre plus sur le comportement du lynx boréal. "Je travaille avec les scientifiques depuis dix ans. Il y a beaucoup de choses intéressantes dans la littérature, mais en suivant les mêmes individus au quotidien, de nombreux questionnements apparaissent: pourquoi reviennent-ils au même endroit chaque année? Pourquoi le territoire n’est-il pas utilisé de la même façon tout au long de l’année? Pourquoi la mère utilise-t-elle ses jeunes pour rabattre le gibier pendant la chasse? Les réponses restent à découvrir."
En parallèle, un livre nommé "Lynx" est sorti aux éditions De La Salamandre. Il contient des images du film et de ses coulisses.
Propos recueillis par Julie Evard
Adaptation web: Myriam Semaani
"Lynx" de Laurent Geslin, à voir dans les salles romandes.