Jane Campion n'a pas peur de se faire rare, au risque de se faire oublier. Seule femme jusqu'en 2021 à avoir décroché la Palme d'or à Cannes pour "The Piano", elle ne s'est jamais laissé dicter un calendrier.
Douze ans après "Bright Star", "The Power of the Dog", son huitième long métrage en trente ans, consacre donc son retour au cinéma. Entretemps, la réalisatrice néo-zélandaise s'est tout de même offert les deux saisons de la série "Top of the Lake", unanimement saluée par la critique.
"The Power of the Dog" est inspiré du roman éponyme de Thomas Savage, publié en 1967. Le film raconte l'histoire de deux frères que tout oppose, Phil (Benedict Cumberbatch) et George (Jesse Plemons). Le premier est brillant, raffiné et cruel; le second flegmatique, pragmatique et bienveillant.
Dans ce début du 20e siècle, pris entre le Far West à l'ancienne et la modernité qui s'annonce, les deux frangins sont à la tête d'un immense ranch dans le Montana. Malgré leur différence de caractère, ils vivent et dorment ensemble depuis quarante ans. Cette harmonie relative - le premier dominant le second et l'insultant à longueur de journée - est mise en péril le jour où George épouse en secret Rose (Kirsten Dunst), gérante du restaurant de la place et jeune veuve.
Mise en place d'une stratégie sadique
Jaloux, ivre de haine, percevant l'arrivée de la femme étrangère comme un danger imminent, Phil déploie des trésors de sadisme pour l'anéantir, elle et son fils (Kodi Smit-McPhee), un étudiant en médecine à la constitution fragile et aux goûts peu virils.
Ce dernier, qui aide sa mère dans ses tâches quotidiennes et aime fabriquer des fleurs en papier, représente aux yeux de Phil, macho indécrottable, tout ce qu'il déteste. Il y a pourtant des correspondances entre les deux hommes que le film s'emploie à révéler sans jamais le souligner.
Découpé en plusieurs chapitres, "The Power of the Dog" avance les pièces de son puzzle narratif avec une précision d'horloger, jouant savamment des contrastes ou des effets miroir: huis clos psychologique planté dans un décor totalement ouvert; passion du détail dans des plans panoramiques; barbarie rurale (castration des taureaux à mains nues) contre barbarie scientifique (vivisection d'un lapin); psyché des personnages dévoilés comme des enquêtes à résoudre; tension extrême et pourtant minimaliste entre les protagonistes. Dans "The Power of the Dog", chaque geste, chaque regard, chaque silence peut conduire à une situation explosive.
Un western autrement
"The Power of the Dog" revendique tous les codes du western pour interroger sa figure centrale, le cow-boy.
Le film déconstruit le mythe masculiniste du cow-boy. La fin est d'une très grande ambiguïté et se prête à plusieurs lectures. Jane Campion va très loin.
Dès l’ouverture, porté par la partition envoûtante du musicien Jonny Greenwood (membre de Radiohead), "The Power of the Dog" annonce sa minéralité et sa sensualité vénéneuse. Porté par un quatuor d'acteurs exceptionnels, en particulier Benedict Cumberbatch qui a refusé de se laver pendant le tournage pour qu'il puisse, rien qu'à l'odeur, créer l'effroi, "The Power of the Dog" sera diffusé dès le 1er décembre sur Netflix. Mais rien n'empêche d'en savourer la beauté et l'ampleur lyrique sur grand écran puisque quelques salles en Suisse romande, dont le Cinérama Empire à Genève, le projettent dès maintenant.
Marie-Claude Martin