Depuis les années 2000, le cinéma de Pedro Almodovar s'est assagi; il est plus sobre, plus serein, plus mélancolique aussi. Il parle d'un passé qui ne passe pas, il est hanté par les fantômes des disparus ou par d'anciens traumas jamais guéris. On peut regretter l'extravagant, le provocant et le turbulent Pedro, mais l'Almodovar de la maturité, celui que la vérité intéresse autant que le jeu et l'apparence, se révèle tout aussi passionnant.
Réveiller les fantômes victimes du franquisme
Lui l'enfant de la Movida - qu'il a incarnée et documentée mieux que personne- s'attache désormais à exhumer les démons d'une Espagne qui n'a pas fait le deuil de son passé franquiste. C'était déjà le cas de "La mauvaise éducation", film noir sur les conséquences de la pédophilie dans l'Eglise catholique. Il en va de même pour "Madres paralelas" ("Mères parallèles"), où le cinéaste associe le destin de ses héroïnes aux plaies de la guerre civile. Un thème d'actualité en Espagne, où le gouvernement s'emploie à sortir des fosses communes les centaines de milliers de victimes de la dictature franquiste.
C'est mon film le plus politique parce que même si ces faits remontent à 85 ans, je juge essentiel de faire ce travail de mémoire pour que notre jeunesse connaisse la vérité et ne reproduise pas les mêmes erreurs.
Mères imparfaites et contemporaines
Mais qu'on se rassure, Almodovar ne sera jamais didactique, jamais lourd, jamais sinistre. Ce qu'il tente dans son 22e long métrage, c'est une greffe, motif récurrent de son cinéma. Une greffe entre le drame historique et la trame romanesque, celle de ses nouvelles héroïnes, puisqu'après son film autobiographique "Douleur et gloire", le cinéaste revient à son sujet de prédilection, les femmes et plus particulièrement les mères. Figures centrales de son cinéma, élargies aux transgenres, elles résistent à tous les désastres grâce à leur générosité et à leur résilience.
Avec une mise en scène presque austère et une intrigue aux ficelles un peu trop voyantes, Pedro Almodovar parvient tout de même à tisser un parallèle fascinant entre la maternité et les squelettes toujours enfouis de l’Espagne franquiste.
Avec "Madres paralelas", il retrouve pour la septième fois sa muse Penélope Cruz qu'il filme sans fard, mais en la sublimant dans chaque plan - elle a d'ailleurs reçu la coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine en septembre dernier, à la Mostra de Venise.
C'est pour elle qu'il a écrit le rôle de Janis, une photographe quadragénaire qui, par accident, tombe enceinte d'un ami archéologue et marié, qui lui a promis de l'aider à retrouver la sépulture de son arrière grand-père, disparu aux débuts de la guerre civile espagnole. Elle est heureuse de cette grossesse et entend élever son enfant seule.
A l'hôpital, elle rencontre Ana, une adolescente mineure (Milena Smit, nouvelle et bienvenue dans le cinéma de Pedro) qui vit sa future maternité comme une calamité.
Sens de l'ellipse
Les deux femmes sympathisent et donnent naissance simultanément à deux filles, Cecilia et Anita. Les deux fillettes sont placées en observation et les deux mères repartent de la clinique avec leur bébé sous le bras.
Mais Cecilia et Anita sont-elles vraiment les filles de leurs mères? A partir d'une confusion à la naissance, Almodovar brode une intrigue à tiroirs comme il les affectionne, avec un sens de l'ellipse époustouflant. Mais surtout, ces trajectoires parallèles qu'Almodovar accompagne sur deux ans finiront par se rejoindre pour tisser une toile émotionnelle riche, complexe et finalement assez joyeuse.
La filiation au coeur du film
Encore une fois, Almodovar met en place un univers qui doit se construire sans les hommes. Janis ne connaît pas son père, tout comme Ana. Pour autant, la figure de la mère ici n'est pas omnipotente, elle a des défaillances, des lâchetés, voire des impossibilités.
Janis est une mère différente, très contemporaine et pour la première fois une mère contestable, imparfaite. Le fait de garder un secret et de vivre dans la contradiction avec elle-même en fait un personnage très intéressant,
La question de la mémoire et de la filiation, des ancêtres comme des descendants, de la grande histoire comme de l'histoire intime, est au coeur de "Madres paralelas", tout comme la question de l'amour maternel. Tout cela, évidemment, évolue dans une fluidité, où tout est possible et bienvenu: le polyamour, le saphisme, les familles décomposées, recomposées, les liens du coeur primant toujours sur ceux du sang.
Marie-Claude Martin
Les vanités colorées de Pedro Almodovar
Pedro Almodovar présente, pour la première fois en Suisse, une sélection de ses oeuvres photographiques originales réunies pour deux projets artistiques à la Fondation Fellini, à Sion: Vida Detenida et Waiting the Light..
En contrepoint de son cinéma, quand il s'ennuie un peu, Pedro Almodovar fait des photos. "Il a commencé en 2016, un jour de la semaine sainte, où il a vu une lumière particulière chez lui. Ensuite, tous les jours, à la même heure, au même endroit, il a placé des objets différents. Cela ressemble un peu à des vanités, au cycle de la vie et à la présence de la mort dans un objet aussi banal qu'un vase ou une tasse", explique le directeur de la Fondation Fellini à Sion, Nicolas Rouiller, qui accueille cette exposition de photographies jusqu'au 9 janvier 2022.
Des objets que l'on peut aussi voir dans ses films tant Almodovar prend soin de ses arrière-plans, de la décoration des appartements dans lesquels il tourne. La plupart des objets d'ailleurs lui appartiennent. Ses photographies de natures mortes colorées, parfois pop, parfois teintées de surréalisme, rappellent la grande peinture espagnole, celle de Zurbaran, notamment.
Ce qui frappe, c'est le silence, une certaine immobilité qui contraste avec son cinéma. "Une vibration presque métaphysique, recueillie, un mélange entre le kitsch, le trivial et le sacré" décrit Florence Grivel, historienne de l'art et spécialiste en arts visuels à la RTS.
mcm