Quand le cinéma s'empare de l'adolescence

Grand Format

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Introduction

Période charnière de la vie, l’adolescence inspire les cinéastes et fait naître d’inoubliables pépites. Parmi la trentaine de longs-métrages portés par des rôles adolescents et projetés dans les salles romandes depuis 2020, quelques-uns gardent une place dans les mémoires, ayant marqué aussi bien la critique que le public. Tour d'horizon.

Chapitre 1
L'adolescence inspire le cinéma suisse

DR

En Suisse, de récents exemples montrent que l'adolescence, cette période aux nombreux paradoxes, inspire les cinéastes, tant les personnages qu’ils révèlent avancent à merveille grâce aux incertitudes.

"OLGA"

À commencer par la jeune Olga qui donne son nom au film d’Elie Grappe. Le film représentant la Suisse aux Oscars et qui totalise à ce jour près de 5'000 entrées, est porté par le talent d’une véritable gymnaste ukrainienne exilée en Suisse. Son regard impassible met en lumière la difficulté, à quinze ans, de composer entre une carrière professionnelle et le déchirement politique d’un pays.

>> A lire également : "Olga", le combat d'une jeune gymnaste ukrainienne exilée en Suisse

L'affiche du premier film de Marì Alessandrini, "Zahorì". [Le Laboratoire Central]
L'affiche du premier film de Marì Alessandrini, "Zahorì". [Le Laboratoire Central]

"ZAHORI"

Aussi remarqué par la presse romande et d’ailleurs, "Zahorí" de Marí Alessandrini, cinéaste argentine formée à la Haute École d'art et de design (HEAD) de Genève, plonge dans la steppe de Patagonie, à travers le regard de Mora, 13 ans, qui désire devenir "gaucho", jusqu’à se mettre en danger.

L’élan poétique du film apparaît au fil de ses actions, notamment au moment d’aider un vieil ami à retrouver son cheval au milieu du désert.

>> A lire également : "Zahori", passage à l'adolescence dans la steppe patagonienne

"IL MIO CORPO"

Sorti au printemps dernier, "Il Mio Corpo" de l’Italien Michele Pennetta, coproduit par la Suisse, raconte avec brio la vie d’Oscar, un adolescent sicilien récoltant des pièces de fer dans les zones délaissées.

Tissant des liens avec un Nigérian à la suite d’un heureux hasard, le garçon laisse transparaître des sentiments ambivalents, partagé entre le sens du devoir et le profond désir d’évasion. De forme hybride, entre le documentaire et la fiction, le film se compose de gros plans, en caméra à l’épaule, faisant corps avec l’adolescent révolté et parfois armé de gestes brusques, mais qui jamais ne cesse de rêver sa vie meilleure.

>> A voir et écouter: Une interview de Michele Pennetta à propos du film "Il Mio Corpo" :

Michele Pennetta: "Nous avons donné une patte fictionelle à ce documentaire"
12h45 - Publié le 15 avril 2021

"BEYTO"

D’une autre manière, on suit dans "Beyto" le parcours d’un jeune apprenti d'origine turque, tout juste entré dans l’âge adulte.

Dans le long-métrage de la Zurichoise Gitta Gsell sorti en mai, Beyto fait aussi face à l’adversité au moment d’assumer son homosexualité.

"LES ENFANTS DU PLATZSPITZ"

Enfin citons encore "Les enfants du Platzspitz" du Fribourgeois Pierre Monnard, sorti en 2020 et qui a totalisé plus de 300'000 entrées. Ici, Mia, 11 ans, doit trop vite prendre ses responsabilités face à une mère toxicomane.

>> A lire également : "Platzspitzbaby", un film lumineux sur les heures sombres de Zurich

Chacun des films évoque la difficulté de faire sa place dans notre monde, adoptant le point de vue des jeunes protagonistes afin de révéler intimement une réalité qui souvent leur échappe.

Chapitre 2
Des récits éloignés des clichés

RTS / Alva Film Production

Dans les pépites imprégnées d’adolescence, les tensions comme simple fruit de l’âge ingrat sont finement évitées. Les cinéastes préfèrent prendre possession des fragilités pour déployer des récits inattendus, percutants.

"SOUS LA PEAU"

Dans "Sous la peau", documentaire touchant de Robin Harsch sorti en avril, trois jeunes trans vivent une transformation qui à la fois les bouleverse et les soulage.

Le cinéaste romand a filmé pendant deux ans, dans les contextes scolaire et familial, les questionnements profonds rythmant le quotidien de ceux qui ne cherchent qu’à être eux-mêmes. Alors que l’affrontement du regard d’autrui octroie délivrance et liberté, il offre par la même occasion, au public, un message d’espoir.

>> A lire également : Robin Harsch: "Avant le film, je ne connaissais rien aux personnes trans"

"ADOLESCENTES"

Usant également des ressorts du documentaire, Sébastien Lifshitz expose dans "Adolescentes", avec minutie, les changements qui s’opèrent dans la vie de deux amies, en France.

Le réalisateur les a filmées dès leurs treize ans, jusqu’à l’âge adulte, brossant le portrait de deux jeunes filles dont les différences de caractère les enrichissent mutuellement, tout en cernant les évolutions politiques du pays à travers le regard des protagonistes.

>> A écouter: "Sébastien Lifshitz en interview dans "Vertigo" à propos de son documentaire: "Adolescentes" :

Le réalisateur Sébastien Lifshitz à Berlin en 2013. [AFP - GERARD JULIEN]AFP - GERARD JULIEN
Vertigo - Publié le 2 novembre 2020

"KUESSIPAN"

Dans un autre style explorant aussi la camaraderie, "Kuessipan" de la Canadienne Myriam Verreault, sorti en août, explore les divergences faisant surface dans une communauté innue, au Québec. Alors que Mikuan et Shaniss vivent une amitié solaire, l’une d’elles tombe amoureuse d’un "Canadien blanc", faisant tout basculer.

"AL-SHAFAQ"

En octobre 2020, c’est la fiction "Al-Shafaq" d’Esen Işik qui faisait sensation.

Dans une famille d’origine turque installée à Zurich, Burak, le cadet taiseux, est aussi en quête d’identité et finit par se faire prendre dans les filets du djihad, sous le regard de ceux qui n’ont pas su ouvrir les yeux à temps.

Avec de courtes séquences et une chronologie éclatée, l’auteure offre une impressionnante immersion dans une famille victime de ses non-dits, scrutant de près la jeunesse qui ne parvient pas à échapper aux influences meurtrières.

>> A écouter: Interview de Brigitte Hofer, productrice du film, dans "Brazil" (1/2) :

Une scène du film "Al-Shafaq" d’Esen Işik. [DR]DR
Brazil - Publié le 26 avril 2020

>> A écouter : La deuxième partie de l'interview de Brigitte Hofer

"GAGARINE"

L’adolescence se vit aussi dans la cité Gagarine, à Ivry-sur-Seine, titre du film des Français Fanny Liatard et Jérémy Trouilh sorti cet été. À 16 ans, Youri, comme le prénom du cosmonaute qui a donné son nom à cette cité en 1963, est révolté par la démolition prévue des bâtiments. Usant d’une créativité sans bornes, l’ado va s’entourer de ses amis pour sauver ce qu’il appelle "son vaisseau".

Ici les cinéastes se servent de l’imaginaire du jeune personnage, un rêveur qui désire aussi atteindre les étoiles, pour ancrer le récit dans un espace onirique souvent éloigné de la surface du globe.

Chapitre 3
La forme au service des émotions

Netflix - Gianni Fiorito

"I AM GRETA"

Par les libertés formelles qu’il peut prendre, le documentaire reste un terreau fertile pour dévoiler la sphère privée des jeunes. "I Am Greta" de Nathan Grossman est dans ce sens un exemple prégnant, sorti l’hiver passé. Le film du Suédois dévoile la personnalité de la jeune activiste Greta Thunberg, entre quinze et dix-sept ans, loin aussi des projecteurs et apparitions que l’on connaît.

L’utilisation de plans rapprochés permet d’entrevoir les mouvements intérieurs de l’initiatrice du mouvement "Fridays for Future", au moment d’interactions avec sa famille ou lorsque, épuisée dans une chambre d’hôtel entre divers déplacements, elle finit par se confier. L’adolescente évoque aussi son syndrome d’Asperger et la façon dont elle trouve la force de son engagement.

Le combat qu’elle tente de mener collectivement apparaît durant de longs moments suspendus, quand parfois, filmée seule face aux usines qui carburent, un sentiment de désespoir sur son visage laisse place à l’insatiable obstination.

>> A lire également : Greta Thunberg: "Je ne suis pas cette enfant naïve et colérique"

"BIGGER THAN US"

Une image extraite du film-documentaire "Bigger than us". [Elzevir Films/Flore Vasseur/Big Mother Productions/All you need is prod]
Une image extraite du film-documentaire "Bigger than us". [Elzevir Films/Flore Vasseur/Big Mother Productions/All you need is prod]

Le passage du destin individuel à la cause universelle survient aussi dans "Bigger Than Us" de Flore Vasseur, coproduit par l’actrice Marion Cotillard, sorti en septembre. Le documentaire suit sept adolescents et jeunes adultes aux quatre coins du globe, usant d’images sidérantes sur l’état de nos terres pour les refléter dans les yeux d’une nouvelle génération prête à agir.

À l’instar d’"Animal" de Cyril Dion, encore en salle, où les séquences de nature à l’agonie donnent tout leur sens aux paroles d’un nouveau souffle, proclamées depuis les estrades, face aux foules.

>> A lire également : "Bigger Than Us", le documentaire qui met en avant les jeunes activistes

"LA MAIN DE DIEU"

L’esthétique d’une fiction révèle aussi bien le caractère des personnages. Ainsi la première séquence de "La Main de Dieu" de Paolo Sorrentino, magnifique récit autobiographique sorti début décembre, est à l’image du regard aiguisé du jeune personnage Fabietto (Filippo Scotti): précis, tranché au couteau.

Alors que l’image plane au-dessus de la Méditerranée, s’approchant de la ville de Naples, le son des automobiles surgit de manière isolée, laissant place au compte-gouttes à d’autres éléments du décor. Puis le temps d’appréhender l’excentrique famille du timide Fabietto, que celui-ci ne cesse pas d’observer. Le hors-champ se retrouve alors suggéré par son regard, jusqu’au drame.

Chaque bruit et mouvement prennent alors plus d’importance, tout comme les expériences humaines qui le poussent à grandir. Avec toujours en creux la mort de ses parents, asphyxiés par accident, l’adolescent crie le désespoir de n’avoir jamais obtenu le droit de les voir sur leur lit d’hôpital. En contrechamps, le Vésuve n’en finit pas de déverser sa lave.

Chapitre 4
Quelques jeunes actrices et acteurs passés à la postérité

Les Films du Livradois / Gaumont / Collection ChristopheL via AFP

Au cours de l’histoire, nombre de jeunes acteurs sont restés inconnus après avoir largement participé à la création de chefs-d’œuvre, à l’exemple de Nadine Nortier dans "Mouchette" (1967) et François Lafarge dans "Au hasard Balthazar" (1966) de Robert Bresson. Le cinéaste qui désirait obtenir de ceux qu’il appelait ses "modèles" un état d’inconscience absolu au moment du jeu, ne leur aura souvent pas donné le goût de persévérer dans la branche.

De l’autre côté, certains immenses comédiens ont fait leurs premiers pas à l’adolescence dans des rôles déjà puissants, à l’image de Jean-Pierre Léaud, âgé de quatorze ans dans "Les Quatre Cents Coups" (1959) de François Truffaut. Les exemples sont nombreux mais n’égalent pas souvent le personnage d’Antoine Doinel inspiré de l’enfance du cinéaste du génie de la Nouvelle Vague.

Jean-Pierre Léaud dans "Les 400 coups" (1959) de François Truffaut. [AFP - ©Les Films du Carrosse / Sedif Productions / Collection ChristopheL]
Jean-Pierre Léaud dans "Les 400 coups" (1959) de François Truffaut. [AFP - ©Les Films du Carrosse / Sedif Productions / Collection ChristopheL]

Ainsi l’Américaine Kirsten Dunst, âgée de douze ans, a notamment incarné un très beau rôle dans "Entretien avec un vampire "(1994) aux côtés de Tom Cruise et Brad Pitt. À seize ans, Vincent Lacoste faisait son entrée au cinéma sous la direction de Riad Sattouf dans "Les Beaux Gosses", recevant aussi en 2010 le prix Lumières du meilleur espoir masculin.

>> A lire : Les débuts de Vincent Lacoste au cinéma croqués par Riad Sattouf

À peine majeure, Sara Forestier a interprété le rôle d’une adolescente dans "L’Esquive" (2004) d’Abdellatif Kechiche, gagnant un an après le César du meilleur espoir féminin.

Charlotte Gainsbourg a obtenu le même trophée pour "L’Effrontée" (1985) à quatorze ans. Tout comme Sandrine Bonnaire pour son magnifique rôle de Suzanne dans "À nos amours" (1983) de Maurice Pialat, qu’elle endossait à quinze ans seulement.